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Moumou / Муму / Mumu

뚝틀이 2015. 11. 10. 07:03

Иван Сергеевич Тургенев(1818-1883), 1852

 

Scènes de la vie rustique

 

Tout au bout de Moscou, dans une maison grise agrémentée d’une colonnade blanche, d’un entresol et d’un balcon distors, vivait naguère une veuve de haut lignage servie par une nombreuse valetaille.

Ses fils avaient pris du service à Pétersbourg, ses filles s’étaient mariées ;

elle ne quittait guère sa demeure et terminait dans la solitude une vieillesse parcimonieuse et chagrine.

Ses beaux jours, plutôt moroses, avaient fui depuis longtemps ; et le soir de sa vie était plus triste que la nuit.

In one of the outlying streets of Moscow, in a gray house decorated with white columns and a balcony, warped all askew, there was once living a lady, a widow, surrounded by a numerous household of serfs.

Her sons were in the government service at Petersburg; her daughters were married;

she went out very little, and in solitude lived through the last years of her miserly(sparsam) and dreary old age.

Her day, a ziemlich joyless and gloomy day, had long been over; but the evening of her life was blacker than night.

 

Le plus original de ses domestiques était sans conteste le portier Gérasime, gaillard long d’une toise, bâti en hercule et sourd-muet de naissance.

La dame l’avait fait venir de la campagne où il habitait une masure à l’écart et passait pour le plus laborieux des corvéables.

Of all her servants, the most remarkable personage was the porter, Gerasim, a man full twelve inches over the normal height, of heroic build, and deaf and dumb from his birth.

The lady, his owner, had brought him up from the village where he lived alone in a little hut, (entfernt) apart from his brothers, and was reckoned about the most punctual of her peasants in the payment of the seignorial dues.

 

Grâce à sa robuste constitution, il travaillait comme quatre, et il y avait plaisir à voir la besogne lui fondre dans les mains.

Quand il labourait un champ, on eût dit, en regardant ses larges paumes appuyées sur l’araire, qu’il perçait lui-même, sans le secours de son petit bidet, le sein flexible de la terre ;

quand, environ la Saint-Pierre, il menait vigoureusement sa large faux, on s’attendait à le voir abattre un taillis de jeunes bouleaux ;

et quand, armé d’un énorme fléau, il battait le blé sans trêve ni merci, les muscles oblongs de ses épaules se levaient et s’abaissaient en cadence ainsi que des leviers.

Son mutisme donnait à son infatigable travail une gravité solennelle.

N’eût été son infirmité, chaque fille de son village aurait volontiers épousé cet excellent garçon…

Endowed with extraordinary strength, he did the work of four men; work flew apace under his hands, and it was a pleasant sight to see him when he was ploughing, while, with his huge palms pressing hard upon the plough, he seemed alone, unaided by his poor horse, to cleave the yielding bosom of the earth, or when, about St. Peter's Day, he plied his scythe with a furious energy that might have mown a young birch copse up by the roots, or swiftly and untiringly wielded a flail over two yards long; while the hard oblong muscles of his shoulders rose and fell like a lever.

His perpetual silence lent a solemn dignity to his unwearying labor.

He was a splendid peasant, and, except for his affliction, any girl would have been glad to marry him...

 

Mais un beau jour on avait jugé bon de l’emmener à Moscou, où, après lui avoir acheté une paire de bottes, un caftan pour l’été, une peau de mouton pour l’hiver, on lui mit en main une pelle et un balai, l’investissant ainsi de l’emploi de portier.

Ce nouveau genre de vie fut d’abord fort peu de son goût.

Retranché par son malheur de la société des autres hommes, il avait grandi comme un arbre vigoureux sur une forte terre…

But now they had taken Gerasim to Moscow, bought him boots, had him made a full-skirted coat for summer, a sheepskin for winter, put into his hand a broom and a spade, and appointed him porter.

At first he intensely disliked his new mode of life.

From his childhood he had been used to field labor, to village life.

Shut off by his affliction from the society of men, he had grown up as a tree grows on a fruitful soil.

 

Transplanté àla ville, il s’y trouvait dépaysé, ébaubi, mal à l’aise, tout comme un jeune taureau qui, soudain arraché au gras pâturage où l’herbe lui venait jusqu’au poitrail, se voit hisser sur un wagon de chemin de fer et emporter Dieu sait où dans un horrible fracas, dans un tourbillon de fumée, dans une pluie de flammèches.

When he was transported to the town, he could not understand what was being done with him; he was miserable and stupefied, with the stupefaction of some strong young bull, taken straight from the meadow, where the rich grass stood up to his belly, taken and put in the truck of a railway train, and there, while smoke and sparks and gusts of steam puff out upon the sturdy beast, he is whirled onwards, whirled along with loud roar and whistle, whither--God knows!

 

Comparée aux pénibles travaux des champs, sa tâche nouvelle lui semblait un jeu : en moins d’une demi-heure il en venait à bout. Alors il restait planté au beau milieu de la cour, regardant bouche bée les passants comme s’il attendait d’eux la solution de l’énigme qu’était pour lui ce changement de situation ; ou bien il se retirait tout à coup dans un coin, et jetant pelle et balai, il se couchait la face contre terre et s’immobilisait des heures entières, comme une bête prise au piège.

What Gerasim had to do in his new duties seemed a mere trifle to him after his hard toil as a peasant; in half an hour all his work was done, and he would once more stand stock-still in the middle of the courtyard, staring open-mouthed at all the passers-by, as though trying to wrest from them the explanation of his perplexing position; or he would suddenly go off into some corner, and flinging a long way off the broom or the spade, throw himself on his face on the ground, and lie for hours together without stirring, like a caged beast.

 

Cependant l’homme s’habitue à tout et Gérasime finit par s’accoutumer à sa nouvelle existence.

Ses devoirs, fort restreints, consistaient à nettoyer lacour, à convoyer deux fois par jour un baril d’eau, à fendre lebois pour la cuisine et les appartements, à écarter du logis les importuns et à faire bonne garde pendant la nuit.

But man gets used to anything, and Gerasim got used at last to living in town.

He had little work to do; his whole duty consisted in keeping the courtyard clean, bringing in a barrel of water twice a day, splitting and dragging in wood for the kitchen and the house, keeping out strangers, and watching at night.

 

Il faut reconnaître qu’il s’en acquittait en conscience :

pas un brinde paille ne traînait dans la cour ;

si, d’aventure, le pauvre cheval fourbu confié à ses soins s’embourbait en charriant son baril, d’un coup d’épaule il remettait en mouvement la voiture et la bête ;

quand il fendait du bois, sa hache vibrait comme un evitre, tandis que de tous côtés volaient bûchettes et copeaux ;

et, depuis qu’une nuit il avait frotté deux filous l’un contre l’autre au point de rendre superflu un autre châtiment, il en imposait à tout le quartier :

et même de jour, les passants les plus inoffensifs se sauvaient à sa vue en protestant de leurs bonnes intentions par force gestes, voire par force cris qu’il était bien incapable d’entendre.

And it must be said he did his duty zealously.

In his courtyard there was never a shaving lying about, never a speck of dust;

if sometimes, in the muddy season, the wretched nag, put under his charge for fetching water, got stuck in the road, he would simply give it a shove with his shoulder, and set not only the cart but the horse itself moving.

If he set to chopping wood, the axe fairly rang like glass, and chips and chunks flew in all directions.

And as for strangers, after he had one night caught two thieves and knocked their heads together--knocked them so that there was not the slightest need to take them to the police-station afterwards--every one in the neighborhood began to feel a great respect for him; even those who came in the daytime, by no means robbers, but simply unknown persons, at the sight of the terrible porter, waved and shouted to him as though he could hear their shouts.

 

Avec les gens de la maison, Gérasime vivait sur un pied d’égalité, sinon d’amitié, car il savaient peur de lui. Il comprenait les gestes qu’ils lui adressaient, exécutait ponctuellement les ordres qui lui étaient transmis ;

mais il connaissait aussi ses droits et personne n’aurait osé lui prendre sa place à table.

C’était au reste un homme d’humeur grave, qui aimait l’ordre en toutes choses.

With all the rest of the servants, Gerasim was on terms hardly friendly--they were afraid of him--but familiar; he regarded them as his fellows. They explained themselves to him by signs, and he understood them, and exactly carried out all orders, but knew his own rights too, and soon no one dared to take his seat at the table. Gerasim was altogether of a strict and serious temper, he liked order in everything;

 

Malheur aux coqs s’ils s’avis aient de se battre en sa présence :

en un clin d’œil il les prenait par les pattes, les faisait tournoyer en l’air une dizaine de fois et les rejetait chacun de son côté.

Il y avait aussi des oies dans la basse-cour ; mais l’oie est, comme on le sait, un animal sérieux et réfléchi ; Gérasime, qui avait vaguement l’allure d’un jars, éprouvait pour ces bipèdes une certaine estime : il prenait soin d’eux et leur donnait à manger.

even the cocks did not dare to fight in his presence, or woe betide them! Directly he caught sight of them, he would seize them by the legs, swing them ten times round in the air like a wheel, and throw them in different directions.

There were geese, too, kept in the yard; but the goose, as is well known, is a dignified and reasonable bird: Gerasim felt a respect for them, looked after them, and fed them; he was himself not unlike a gander of the steppes.

 

On lui avait assigné pour demeure un réduit au-dessus de la cuisine, qu’il meubla à sa guise. Avec des planches de chêne ilyédifi a un lit posé sur quatre fortes solives, un vrai lit de paladin, qui n’eût pas fléchi sous le poids de plusieurs quintaux.

Il plaça sous ce lit un énorme coffre, dans un coin une table non moins massive flanquée d’une chaise basse à trois pieds, si pesante qu’il lui arrivait parfois de la laisser retomber en la soulevant, ce qui provoquait infailliblement son sourire. La porte se fermait à l’aide d’un gros cadenas noir, dont il gardait toujours la clef à la ceinture, n’aimant point qu’on pénétrât dans son repaire.

He was assigned a little garret over the kitchen; he arranged it himself to his own liking, made a bedstead in it of oak boards on four stumps of wood for legs--a truly Titanic bedstead; one might have put a ton or two on it--it would not have bent under the load;

under the bed was a solid chest; in a corner stood a little table of the same strong kind, and near the table a three-legged stool, so solid and squat that Gerasim himself would sometimes pick it up and drop it again with a smile of delight. The garret was locked up by means of a padlock that looked like a kalatch or basket-shaped loaf, only black; the key of this padlock Gerasim always carried about him in his girdle. He did not like people to come to his garret.

 

Une année passa de la sorte, au bout de laquelle Gérasime connut une légère aventure.

Très attachée aux vieux us, la vieille dame sa patronne entretenait, nous l’avons dit, un nombreux domestique.

Elle avait à son service des blanchisseuses et des couturières, des menuisiers et des tailleurs ; elle avait même un bourrelier, qui faisait aussi l’office de vétérinaire et de rebouteux, un guérisseur attaché à sa propre personne, et jusqu’à un cordonnier, lequel buvait comme une éponge et répondait au nom de Capiton Klimov.

So passed a year, at the end of which a little incident befell Gerasim.

The old lady, in whose service he lived as porter, adhered in everything to the ancient ways, and kept a large number of servants.

In her house were not only laundresses, sempstresses, carpenters, tailors and tailoresses, there was even a harness-maker--he was reckoned as a veterinary surgeon, too,--and a doctor for the servants; there was a household doctor for the mistress; there was, lastly, a shoemaker, by name Kapiton Klimov, a sad drunkard.

 

Ledit Klimov se croyait un personnage d’esprit éclairé et de manières polies, injustement condamné par le sort à végéter dans un coin perdu de Moscou ; s’il buvait, déclarait-il en pesant ses mots et en se frappant la poitrine, c’était uniquement pour noyer son chagrin.

Un beau jour, comme la vieille dame tenait conseil avec son majordome Gavril, individu que ses yeux jaunes et son nez de canard prédestinaient au commandement, elle vint à déplorer les mauvaises mœurs de Capiton, qu’on avait relevé la veille dans la rue en fort piteux état.

Klimov regarded himself as an injured creature, whose merits were unappreciated, a cultivated man from Petersburg, who ought not to be living in Moscow without occupation--in the wilds, so to speak; and if he drank, as he himself expressed it emphatically, with a blow on his chest, it was sorrow drove him to it.

So one day his mistress had a conversation about him with her head steward, Gavrila, a man whom, judging solely from his little yellow eyes and nose like a duck's beak, fate itself, it seemed, had marked out as a person in authority. The lady expressed her regret at the corruption of the morals of Kapiton, who had, only the evening before, been picked up somewhere in the street.

 

– Qu’en penses-tu, Gavril, dit-elle soudain, si nous le marions, peut-être qu’il se rangerait ?

– C’est, ma foi, vrai, opina le majordome ; même que cela lui ferait beaucoup de bien.

– Bon ; mais qui consentira à l’épouser ?

– Ça, pour sûr… Après tout, ce sera comme Madame voudra. Il est toujours bon à quelque chose.

"Now, Gavrila," she observed, all of a sudden, "now, if we were to marry him, what do you think, perhaps he would be steadier?"

"Why not marry him, indeed, 'm? He could be married, 'm," answered Gavrila, "and it would be a very good thing, to be sure, 'm."

"Yes; only who is to marry him?"

"Ay, 'm. But that's at your pleasure, 'm. He may, any way, so to say, be wanted for something; he can't be turned adrift altogether."

 

– J’ai cru remarquer que Tatiana ne lui déplaisait pas ?

Gavril fut sur le point d’exprimer une objection, mais il se mordit les lèvres à temps.

« Oui, c’est cela, conclut la dame en humant sa prise, qu’il fasse sa cour à Tatiana. Entendu, n’est-ce pas ? »

– À vos ordres, répondit Gavril ;

et il se retira dans sa chambre située dans une aile de l’hôtel et encombrée de coffres à ferronneries.

"I fancy he likes Tatiana."

Gavrila was on the point of making some reply, but he shut his lips tightly.

"Yes!...let him marry Tatiana," the lady decided, taking a pinch of snuff complacently, "Do you hear?"

"Yes, 'm," Gavrila articulated, and he withdrew.

 

Là, il commença par renvoyer sa femme, puis s’assit, pensif, près de la fenêtre.

La décision imprévue de sa maîtresse l’embarrassait.

Enfin il se leva et fit appeler Capiton. Capiton ne tarda pas à paraître…

Mais, avant de relater leur entretien, nous devons dire en quelques mots qui était cette Tatiana et pourquoi les ordres qu’il venait de recevoir à son sujet donnaient du souci au majordome.

Returning to his own room, Gavrila first sent his wife away, and then sat down at the window and pondered.

His mistress's unexpected arrangement had clearly put him in a difficulty.

At last he got up and sent to call Kapiton. Kapiton made his appearance...

But before reporting their conversation to the reader, we consider it not out of place to relate in few words who was this Tatiana, whom it was to be Kapiton's lot to marry, and why the great lady's order had disturbed the steward.

 

Tatiana était une des blanchisseuses de la maison, fort habile d’ailleurs et préposée au linge fin.

Petite blonde maigrichonne de quelque vingt-huit ans, elle avait des envies sur la joue gauche, signe de malheur d’après les croyances du peuple russe.

De fait le sort n’avait guère souri à la pauvre fille.

Assujettie dès l’enfance aux plus rudes travaux, toujours mal vêtue, toujours malrétribuée, sans autres parents que des oncles, l’un d’eux ancien sommelier, renvoyé à la campagne pour cause d’incapacité, les autres pauvres paysans, elle n’avait jamais connu la moindre caresse.

Tatiana, one of the laundresses referred to above (as a trained and skilful laundress she was in charge of the fine linen only), was a woman of twenty-eight, thin, fair-haired, with moles on her left cheek. Moles on the left cheek are regarded as of evil omen in Russia--a token of unhappy life...

Tatiana could not boast of her good luck.

From her earliest youth she had been badly treated; she had done the work of two, and had never known affection; she had been poorly clothed and had received the smallest wages. Relations she had practically none; an uncle she had once had, a butler, left behind in the country as useless, and other uncles of hers were peasants--that was all.

 

Dans sa première jeunesse elle avait passé pour belle, mais cette beauté s’était bientôt flétrie.

Timide, effarouchée, d’une morne indifférence en ce qui concernait sa propre personne et toujours en proie à des transes mortelles à l’égard d’autrui, elle se souciait uniquement de terminer sa tâche dans le délai prescrit.

Elle ne parlait à personne et tremblait au seul nom de sa maîtresse, bien que celle-ci la connût à peine de vue.

At one time she had passed for a beauty, but her good looks were very soon over.

In disposition, she was very meek, or, rather, scared; towards herself, she felt perfect indifference; of others, she stood in mortal dread; she thought of nothing but how to get her work done in good time, never talked to any one, and trembled at the very name of her mistress, though the latter scarcely knew her by sight.

 

Quand on amena Gérasime de la campagne, elle faillit s’évanouir à l’aspect de ce rude colosse.

Elle l’évitait avec soin et si, d’aventure, elle le rencontrait en se rendant à la lingerie, elle fermait les yeux et prenait les jambes à son cou.

Gérasime ne lui accorda d’abord qu’une attention discrète, puis il en vint à sourire lors qu’il l’apercevait, puis il se mit à la reluquer avec une insistance de plus en plus gênante :

soit par la douceur de ses traits, soit par la modestie de son maintien la brave Tatiana avait fait la conquête du géant.

When Gerasim was brought from the country, she was ready to die with fear on seeing his huge figure, tried all she could to avoid meeting him, even dropped her eyelids when sometimes she chanced to run past him, hurrying from the house to the laundry.

Gerasim at first paid no special attention to her, then he used to smile when she came his way, then he began even to stare admiringly at her, and at last he never took his eyes off her.

She took his fancy, whether by the mild expression of her face or the timidity of her movements, who can tell?

 

Un jour qu’elle traversait la cour en portant délicatement du bout de ses doigts écartés une camisole de sa maîtresse qu’elle venait d’empeser, elle se sentit tout à coup tirer par le coude.

Elle se retourna et jeta un cri : Gérasime était près d’elle.

Avec un sourire niais et un meuglement affectueux il lui tendait un coq en pain d’épice doré à la queue etaux ailes. Elle fit mine de refuser ce présent, mais il le lui mit de force entre les mains, secoua la tête et opéra sa retraite en se retournant pour lui adresser un nouveau beuglement très amical.

So one day she was stealing across the yard, with a starched dressing-jacket of her mistress's carefully poised on her outspread fingers... some one suddenly grasped her vigorously by the elbow; she turned round and fairly screamed; behind her stood Gerasim. With a foolish smile, making inarticulate caressing grunts, he held out to her a gingerbread cock with gold tinsel on his tail and wings. She was about to refuse it, but he thrust it forcibly into her hand, shook his head, walked away, and turning round, once more grunted something very affectionately to her.

 

Àpartir de ce jour il ne lui laissa plus de repos : en quelque lieu que la pauvre fille se rendît, il surgissait devant elle souriant, agitant les bras, proférant un de ses cris de muet, tirant de sa houppelande un ruban qu’il lui tendait ou balayant la place par où elle devait passer. La malheureuse ne savait quelle conduite tenir. Bientôt tous les gens remarquèrent les galanteries du muet : Tatiana se vit en butte à leurs sarcasmes, à leurs quolibets, mais ils n’osèrent se gausser ouvertement de Gérasime, qui n’entendait point raillerie.

From that day forward he gave her no peace; wherever she went, he was on the spot at once, coming to meet her, smiling, grunting, waving his hands; all at once he would pull a ribbon out of the bosom of his smock and put it in her hand, or would sweep the dust out of her way. The poor girl simply did not know how to behave or what to do.

Soon the whole household knew of the dumb porter's wiles; jeers, jokes, sly hints, were showered upon Tatiana.

At Gerasim, however, it was not every one who would dare to scoff; he did not like jokes; indeed, in his presence, she, too, was left in peace.

 

On se contenait donc devant lui, et bon gré mal gré la jeune fille se trouva placée sous sa protection.

Perspicace comme tous les sourds-muets, il devinait fort bien quand on s’attaquait soit à lui, soit à sa dulcinée.

Un jour à dîner la femme de charge persifla sa subordonnée avec une âpreté si caustique que la pauvre enfant, confuse et baissant la tête, semblait prête à pleurer.

Tout à coup Gérasime se souleva de sa place et, posant sa lourde patte sur la tête de la railleuse, la dévisagea de telle sorte que l’autre colla littéralement son nez contre la table. Tout le monde se tut. Gérasime reprit sa cuiller et se remit tranquillement à manger sa soupe.

« Quel ogre que ce maudit muet ! » murmurèrent alors quelques voix, tandis que la femme de charge jugeait prudent de décamper.

Whether she liked it or not, the girl found herself to be under his protection.

Like all deaf-mutes, he was very suspicious, and very readily perceived when they were laughing at him or at her.

One day, at dinner, the wardrobe-keeper, Tatiana's superior, fell to nagging, as it is called, at her, and brought the poor thing to such a state that she did not know where to look, and was almost crying with vexation.

Gerasim got up all of a sudden, stretched out his gigantic hand, laid it on the wardrobe-maid's head, and looked into her face with such grim ferocity that her head positively flopped upon the table. Every one was still. Gerasim took up his spoon again and went on with his cabbage-soup.

"Look at him, the dumb devil, the wood-demon!" they all muttered in undertones, while the wardrobe-maid got up and went out into the maid's room.

 

Une autre fois, comme il avait remarqué que Capiton – ce Capiton don't il vient justement d’être question – faisait l’aimable au près de Tatiana, Gérasime appela du doigt le galant, le conduisit dans la remise et s’emparant d’un timon oublié dans un coin lui fit comprendre qu’il saurait à l’occasion lui en frotter les épaules.

Depuis lors chacun se le tint pour dit et n’osa plus même adresser la parole à Tatiana.

Another time, noticing that Kapiton--the same Kapiton who was the subject of the conversation reported above--was gossiping somewhat too attentively with Tatiana, Gerasim beckoned him to him, led him into the cart shed, and taking up a shaft that was standing in a corner by one end, lightly, but most significantly, menaced him with it.

Since then no one addressed a word to Tatiana.

 

Ces incartades n’attirèrent aucun désagrément à leur auteur.

La femme de charge eut beau tomber en pâmoison et porter plainte dès le soir même à sa maîtresse,

la fantasque vieille ne fit qu’en rire et, au grand dépit de la plaignante, la contraignit à lui narrer deux ou trois fois par le menu cette plaisante aventure.

Le lendemain elle fit remettre un rouble de gratification à Gérasime, dont elle appréciait la vigueur et la fidélité.

And all this cost him nothing. It is true the wardrobe-maid, as soon as she reached the maids' room, promptly fell into a fainting fit, and behaved altogether so skilfully that Gerasim's rough action reached his mistress's knowledge the same day. But the capricious old lady only laughed, and several times, to the great offence of the wardrobe-maid, forced her to repeat "how he bent your head down with his heavy hand," and next day she sent Gerasim a rouble. She looked on him with favor as a strong and faithful watchman.

 

Encouragé par cetémoignage de bienveillance, Gérasime, à qui jusqu’alors elle inspirait une sainte terreur, résolut de lui demander l’autorisation d’épouser Tatiana.

Il n’attendait pour se présenter devant sa maîtresse que le nouveau caftan qui lui avait été promis par le majordome. Sur ces entrefaites, ladite maîtresse imagina de marier la lingère avec Capiton.

Gerasim stood in considerable awe of her, but, all the same, he had hopes of her favor, and was preparing to go to her with a petition for leave to marry Tatiana.

He was only waiting for a new coat, promised him by the steward, to present a proper appearance before his mistress, when this same mistress suddenly took it into her head to marry Tatiana to Kapiton.

 

Le lecteur comprendra maintenant l’inquiétude qui s’empara de Gavril quand il s’entendit signifier pareil ordre.

« Certes, ruminait-il près de sa fenêtre, notre maîtresse a des ménagements pour cet homme. (Cela, l’intendant le savait bel et bien et iltraitait Gérasime en conséquence.) Mais de là à lui donner Tatiana… Le beau mari qu’un sourd-muet !… D’un autre côté, quand ce diable d’enfer – que Dieu me pardonne ! – verra son amoureuse accordée à Capiton, il est capable de tout briser, de tout saccager. Allez donc faire entendre raison à un animal pareil ! »

The reader will now readily understand the perturbation of mind that overtook the steward Gavrila after his conversation with his mistress. "My lady," he thought, as he sat at the window, "favors Gerasim, to be sure"--(Gavrila was well aware of this, and that was why he himself looked on him with an indulgent eye)--"still he is a speechless creature. I could not, indeed, put it before the mistress that Gerasim's courting Tatiana. But, after all, it's true enough; he's a queer sort of husband. But on the other hand, that devil, God forgive me, has only got to find out they're marrying Tatiana to Kapiton, he'll smash up everything in the house, 'pon my soul! There's no reasoning with him; why, he's such a devil, God forgive my sins, there's no getting over him nohow...'pon my soul!"

 

L’arrivée de Capiton interrompit les méditations de Gavril.

L’écervelé entra, les mains derrière le dos, s’appuya contre une saillie de la muraille près de la porte, croisa sa jambe droite sur sa jambe gauche, et hocha la tête d’un air qui voulait dire :« Eh ben, me v’là. Qu’est-ce qu’y vous faut encore ? »

Kapiton's entrance broke the thread of Gavrila's reflections.

The dissipated shoemaker came in, his hands behind him, and lounging carelessly against a projecting angle of the wall, near the door, crossed his right foot in front of his left, and tossed his head, as much as to say, "What do you want?"

 

Gavril le considéra tout en tambourinant des doigts sur le montant de la croisée.

L’autre ne se démonta pas pour si peu : seuls ses yeux de plomb clignèrent légèrement et, tout en remettant avec ses cinq doigts un peu d’ordre dans sa chevelure filasseébouriffée, il se permit un sourire, qui voulait dire à peu près :

« Ben oui, c’est moi. T’as pas fini de me reluquer ? »

Gavrila looked at Kapiton, and drummed with his fingers on the window- frame.

Kapiton merely screwed up his leaden eyes a little, but he did not look down; he even grinned slightly, and passed his hand over his whitish locks which were sticking up in all directions.

"Well, here I am. What is it?"

 

– Te voilà beau, jeta enfin le majordome et, après unsilence : Oui, répéta-t-il, t’es beau, y a pas à dire !

Pour toute réponse, Capiton haussa les épaules. « Et après ? songeait-il. Tu vaux p’t-être mieux que moi, hein ? »

– Mais regarde-toi donc, reprit Gavril d’un ton de mépris : vois un peu à qui tu ressembles !

Capiton enveloppa d’un regard tranquille son surtout loqueteux, son pantalon rapiécé, examina longuement ses bottes trouées en accordant une attention particulière à la pointe de celle sur laquelle son pied droit s’appuyait avec une si parfaite désinvolture. Puis reportant ses regards sur le majordome :

"You're a pretty fellow," said Gavrila, and paused. "A pretty fellow you are, there's no denying!"

Kapiton only twitched his little shoulders. "Are you any better, pray?" he thought to himself.

"Just look at yourself, now, look at yourself," Gavrila went on reproachfully; "now, whatever do you look like?"

Kapiton serenely surveyed his shabby, tattered coat and his patched trousers, and with special attention stared at his burst boots, especially the one on the tiptoe of which his right foot so gracefully poised, and he fixed his eyes again on the steward.

 

– Qu’est-ce que j’ai de si mal ? demanda-t-il.

– Tu le demandes ? s’écria Gavril. Mais tu ressembles à un vrai démon, que le bon Dieu me pardonne !

« Jurez tant qu’il vous plaira, Gavril Andréitch », murmura à part soi Capiton en clignant de nouveau des yeux.

– Tu t’es encore soûlé, hein ? poursuivit le majordome… Mais réponds donc, nom d’un tonnerre ! T’es-tu soûlé, oui ou non ?

– C’est-à-dire que pour fortifier ma santé, j’ai dû faire usage de quelques spiritueux, rétorqua Capiton.

– Pour fortifier ta santé !… on ne te rosse pas assez,voilà… Et on a envoyé le monsieur faire son apprentissage à Pieter. Qu’y as-tu appris, dis-moi un peu ? Tu ne mérites pas le pain que tu manges.

"Well?"

"Well?" repeated Gavrila. "Well? And then you say well? You look like Old Nick himself, God forgive my saying so, that's what you look like."

Kapiton blinked rapidly.

"Go on abusing me, go on, if you like, Gavrila Andreitch," he thought to himself again.

"Here you've been drunk again," Gavrila began, "drunk again, haven't you? Eh? Come, answer me!"

"Owing to the weakness of my health, I have exposed myself to spirituous beverages, certainly," replied Kapiton.

"Owing to the weakness of your health!... They let you off too easy, that's what it is; and you've been apprenticed in Petersburg... Much you learned in your apprenticeship! You simply eat your bread in idleness."

 

– Gavril Andréitch, dans cette question je ne reconnais pour juge que Notre-Seigneur.

Lui seul sait ce que je vaux et si je ne mérite pas le pain qu’on me donne.

Quant au reproche que vous me faites de m’être soûlé, faut vous dire que c’est pas tout à fait ma faute. J’étais avec un copain qui s’est défilé au bon moment…

"In that matter, Gavrila Andreitch, there is one to judge me, the Lord God Himself, and no one else. He also knows what manner of man I be in this world, and whether I eat my bread in idleness. And as concerning your contention regarding drunkenness, in that matter, too, I am not to blame, but rather a friend; he led me into temptation, but was diplomatic and got away, while I..."

 

– Et qui t’a planté dans la rue, hein, bougre deserin ? Quand il s’agit de se rincer la dalle, t’es jamais le dernier, hein ? Mais… il ne s’agit pas de ça pour le moment. Voici de quoi il retourne. Notre dame, reprit Gavril après un silence, notre dame désire que tu te maries. Elle pense comme ça que tu te rangeras une fois marié. Tu me comprends, j’espère ?

– Bien sûr, y a pas besoin d’être malin pour cela.

"While you were left like a goose, in the street. Ah, you're a dissolute fellow! But that's not the point," the steward went on, "I've something to tell you. Our lady..." here he paused a minute, "it's our lady's pleasure that you should be married. Do you hear? She imagines you may be steadier when you're married. Do you understand?"

"To be sure I do."

"Well, then. For my part I think it would be better to give you a good hiding. But there--it's her business. Well? are you agreeable?"

 

– À mon avis vaudrait mieux te tenir la dragée haute ; mais, puisqu’elle a d’autres idées… Acceptes-tu, oui ou non ?

– Il est bon que l’homme se marie, répondit Capiton avec son plus beau sourire. En ce qui me concerne, Gavril Andréitch, c’est avec grand plaisir que je prendrai femme.

– Parfait ! répliqua Gavril en songeant à part soi : « Y a pas à dire, le gaillard s’exprime bien. »

Mais, reprit-il à haute voix, je ne sais si la personne qu’on te destine te conviendra.

– Qui est-ce donc, si vous me permettez cette question ?

– Tatiana.

– Tatiana ! s’exclama Capiton en sursautant, les yeux écarquillés.

Kapiton grinned.

"Matrimony is an excellent thing for any one, Gavrila Andreitch; and, as far as I am concerned, I shall be quite agreeable."

"Very well, then," replied Gavrila, while he reflected to himself:

"There's no denying the man expresses himself very properly. only there's one thing," he pursued aloud :

"the wife our lady's picked out for you is an unlucky choice."

"Why, who is she, permit me to inquire?"

"Tatiana."

"Tatiana?" And Kapiton opened his eyes, and moved a little away from the wall.

 

– Qu’est-ce qui te prend ? Est-ce que par hasard la donzelle ne serait pas du goût de monsieur ?

– Mais si, Gavril Andréitch, c’est une brave fille, pas fière et qui ne rechigne pas à l’ouvrage.

Seulement vous savez bien que cet animal, ce loup-garou des steppes…

– Je sais, mon ami, je sais, interrompit le majordome avec dépit ; mais puis que…

– Mais voyons, Gavril Andréitch, il me tuera, pour sûr, il m’écrasera comme une mouche.

Regardez voir un peu ses bras, on dirait ceux de Minine et Pojarski !

"Well, what are you in such a taking for?... Isn't she to your taste, hey?"

"Not to my taste, do you say, Gavrila Andreitch? She's right enough, a hard-working steady girl...

But you know very well yourself, Gavrila Andreitch, why that fellow, that wild man of the woods, that monster of the steppes, he's after her, you know..."

"I know, mate, I know all about it," the butler cut him short in a tone of annoyance: "but there, you see..."

 

Il frappe comme un sourd qu’il est et il n’entend pas résonner les coups qu’il porte. Il joue de ses poings comme un homme qui les agiterait dans son sommeil. Et pas moyen de lui faire entendre raison, il est encore plus bête que sourd. C’est une brute, une bûche, un soliveau… Qu’ai-je fait pour subir les coups d’un monstre pareil ?… Bien sûr, je ne suis plus ce que j’étais autre fois, j’en ai vu de toutes les couleurs, je suis décati, dés étamé comme une vieille casserole ; pourtant, après tout, je suis un être humain et non un vil ustensile !

"But upon my soul, Gavrila Andreitch! why, he'll kill me, by God, he will, he'll crush me like some fly;

why, he's got a fist--why, you kindly look yourself what a fist he's got; why, he's simply got a fist like Minin Pozharsky's. You see he's deaf, he beats and does not hear how he's beating! He swings his great fists, as if he's asleep. And there's no possibility of pacifying him; and for why? Why, because, as you know yourself, Gavrila Andreitch, he's deaf, and what's more, has no more wit than the heel of my foot. Why, he's a sort of beast, a heathen idol, Gavrila Andreitch, and worse...a block of wood; what have I done that I should have to suffer from him now? Sure it is, it's all over me now; I've knocked about, I've had enough to put up with, I've been battered like an earthenware pot, but still I'm a man, after all, and not a worthless pot."

 

– Allons, allons, pas tant de beaux mots !

– Seigneur, mon Dieu, continua de plus belle le savetier déchaîné, n’y aura-t-il donc jamais de fin à mes misères ? A-t-on jamais vu un sort comme le mien ? Battu dans mon enfance par mon maître allemand, battu à la fleur de mes ans parmes compagnons d’infortune, et réduit dans mon âge mûr…

"I know, I know, don't go talking away..."

"Lord, my God!" the shoemaker continued warmly, "when is the end? when, O Lord! A poor wretch I am, a poor wretch whose sufferings are endless! What a life, what a life mine's been come to think of it! In my young days, I was beaten by a German I was 'prentice to; in the prime of life beaten by my own countrymen, and last of all, in ripe years, see what I have been brought to..."

 

– As-tu fini, âme de filasse ? put enfin placer le majordome.

– Permettez, Gavril Andréitch, ce n’est pas tant les coups que je crains. Qu’on me corrige en douce et qu’on me traite bien en public, je n’en reste pas moins quelqu’un. Mais qu’un animal, une brute se permette…

– Assez comme ça. Va te faire fiche ! dit Gavril impatienté.

Capiton fit demi-tour.

– À supposer qu’il ne soit pas là, cria le majordome sur ses talons, tu consens au mariage ?

– J’y donne mon entier consentement, déclara Capiton, que sa facon de n’abandonnait point même dans les moments les plus critiques.

Et il quitta la place.

"Ugh, you flabby soul!" said Gavrila Andreitch. "Why do you make so many words about it?"

"Why, do you say, Gavrila Andreitch? It's not a beating I'm afraid of, Gavrila Andreitch. A gentleman may chastise me in private, but give me a civil word before folks, and I'm a man still; but see now, whom I've to do with..."

"Come, get along," Gavrila interposed impatiently. Kapiton turned away and staggered off.

"But, if it were not for him," the steward shouted after him, "you would consent for your part?"

"I signify my acquiescence," retorted Kapiton as he disappeared.

His fine language did not desert him, even in the most trying positions.

 

« Allons, décida Gavril après avoir mainte et mainte foisarpenté sa chambre, faisons toujours venir Tatiana. »

Au bout de quelques instants la blanchisseuse apparut et s’arrêta, intimidée, sur le seuil de la porte.

– Que désirez-vous, Gavril Andréitch ? demanda-t-elle d’une voix craintive.

Gavril la considéra un bon moment en silence, puis lui dit :

– Veux-tu te marier, Tatiana ? Notre dame t’a trouvé un fiancé.

– Je ne dis pas non, Gavril Andréitch… Mais qui cela ? ajouta-t-elle timidement.

– Capiton, le cordonnier.

– Entendu.

The steward walked several times up and down the room.

"Well, call Tatiana now," he said at last.

A few instants later, Tatiana had come up almost noiselessly, and was standing in the doorway.

"What are your orders, Gavrila Andreitch?" she said in a soft voice.

The steward looked at her intently.

"Well, Taniusha," he said, "would you like to be married? Our lady has chosen a husband for you?"

"Yes, Gavrila Andreitch. And whom has she deigned to name as a husband for me?" she added falteringly.

"Kapiton, the shoemaker."

"Yes, sir."

 

– C’est un homme d’une conduite un peu légère, mais notre dame compte sur toi pour lui faire perdre ses mauvaises habitudes.

– Entendu.

– Le malheur, c’est que ce maudit sourd te fait les yeux doux. Comment t’y es-tu prise pour ensorceler un ours pareil !Il est dans le cas de t’as sommer, l’animal !

– Oh pour sûr, il me tuera, Gavril Andréitch.

– Hum ! c’est ce que nous verrons… Mais comme tu as l’air sûre de ton fait. Est-ce qu’il aurait le droit de te tuer ?

– Je n’en sais rien, Gavril Andréitch.

– Tu ne lui as pas fait de promesse, au moins ?

– Que voulez-vous dire ?

"He's a feather-brained fellow, that's certain. But it's just for that the mistress reckons upon you."

"Yes, sir."

"There's one difficulty...you know the deaf man, Gerasim, he's courting you, you see. How did you come to bewitch such a bear? But you see, he'll kill you, very like, he's such a bear..."

"He'll kill me, Gavrila Andreitch, he'll kill me, and no mistake."

"Kill you... Well we shall see about that. What do you mean by saying he'll kill you?

Has he any right to kill you? tell me yourself."

"I don't know, Gavrila Andreitch, about his having any right or not."

"What a woman! why, you've made him no promise, I suppose..."

"What are you pleased to ask of me?"

The steward was silent for a little, thinking,

 

– Innocente créature ! murmura l’intendant après un silence…

Allons, c’est bien, reprit-il, nous reparlerons de cette affaire. Pour le moment tu peux te retirer.

Tu es une brave fille, à ce que je vois.

Tatiana s’appuya un instant à la porte et disparut.

– Bah ! se dit le majordome, peut-être que dès demain notre dame aura oublié ce projet de mariage !…

Et puis après tout, on peut venir à bout du gaillard. La police n’est pas faite pour les chiens !…

Oustinia Fiodorovna, cria-t-il à sa femme d’une voix de stentor, si c’était un effet de votre bonté de me servir le samovar, hein, qu’en pensez-vous, ma respectable moitié ?

"You're a meek soul! Well, that's right," he said aloud;

"we'll have another talk with you later, now you can go, Taniusha; I see you're not unruly, certainly."

Tatiana turned, steadied herself a little against the door post, and went away.

"And, perhaps, our lady will forget all about this wedding by to- morrow," thought the steward;

"and here am I worrying myself for nothing! As for that insolent fellow, we must tie him down if it comes to that, we must let the police know...

Ustinya Fyedorovna!" he shouted in a loud voice to his wife, "heat the samovar, my good soul..."

 

Tatiana ne quitta guère la lingerie ce jour-là : elle vers a quelques larmes, les essuya et se remit à son travail.

Quant à Capiton, il s’installa jusqu’à la nuit close au cabaret avec un compagnon à la mine terreuse.

Il lui raconta avec force détails qu’il avait servi à Pieter un maître qui était certes la crème des hommes mais qui, entre autres défauts, tenait ses gens de trop court tout en levant le coude lui-même et en courant furieusement le beau sexe… Le ténébreux compagnon se contentait de soutenir l’entretien par monosyllabes ; mais lorsque Capiton en vint à déclarer que, par suite d’un fatal incident, il songeait à sesuicider le lendemain, le lugubre personnage lui fit observer qu’il était temps d’aller se coucher. Et tous deux se séparèrent en silence et sans aménité.

All that day Tatiana hardly went out of the laundry. At first she had started crying, then she wiped away her tears, and set to work as before. Kapiton stayed till late at night at the gin-shop with a friend of his, a man of gloomy appearance, to whom he related in detail how he used to live in Petersburg with a gentleman, who would have been all right, except he was a bit too strict, and he had a slight weakness besides, he was too fond of drink; and, as to the fair sex, he didn't stick at anything. His gloomy companion merely said yes; but when Kapiton announced at last that, in a certain event, he would have to lay hands on himself to-morrow, his gloomy companion remarked that it was bedtime. And they parted in surly silence.

 

Cependant l’espoir de Gavril ne se réalisa point. La vieille dame avait tellement pris à cœur son projet de mariage qu’elle en parla toute la nuit à une de ses femmes, spécialement chargée de la distraire durant ses heures d’insomnie et forcée en conséquence de dormir le jour, comme ces cochers de fiacre qui n’exercent leur métier qu’après le coucher du soleil. Le lendemain matin, dès quele majordome vint lui faire son rapport :

– Eh bien, s’informa-t-elle, comment va notre mariage ?

Bien entendu, l’autre répondit que tout allait pour le mieux et que, le jour même, Capiton viendrait lui faire ses remerciements.

Meanwhile, the steward's anticipations were not fulfilled. The old lady was so much taken up with the idea of Kapiton's wedding, that even in the night she talked of nothing else to one of her companions, who was kept in her house solely to entertain her in case of sleeplessness, and, like a night cabman, slept in the day. When Gavrila came to her after morning tea with his report, her first question was:

"And how about our wedding--is it getting on all right?"

He replied, of course, that it was getting on first-rate, and that Kapiton would appear before her to pay his reverence to her that day.

 

Un peu indisposée, la veuve ne retint pas longtemps Gavril, qui, aussitôt rentré chez lui, convoqua un conseil extraordinaire. L’affaire était épineuse. Tatiana certes ne faisait aucune objection ; mais Capiton déclarait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait qu’une tête, qu’il n’en avait pas deux, qu’il n’en avait pas trois… ; quant à Gérasime, posté sur le seuil du pavillon des servantes, il jetait des regards farouches à tous les passants et semblait avoir vent du complot qui se tramait contre lui.

The old lady was not quite well; she did not give much time to business. The steward went back to his own room, and called a council. The matter certainly called for serious consideration. Tatiana would make no difficulty, of course; but Kapiton had declared in the hearing of all that he had but one head to lose, not two or three... Gerasim turned rapid sullen looks on every one, would not budge from the steps of the maids' quarters, and seemed to guess that some mischief was being hatched against him.

 

À ce conseil assistait notamment un vieux sommelier, le père La Queue, dont on prenait toujours l’avis avec une déférence particulière mais dont on n’obtenait jamais que des « oui, évidemment, bien sûr. » on résolut dès l’abord d’enfermer pour plus de sûreté Capiton dans le cabinet du filtre à eau. Une longue délibération suivit. Le plus simple évidemment était de recourir à la force. Tout le monde en convint, mais cela ferait du bruit, la maîtresse s’inquiéterait, demanderait des explications. Non, décidément, il n’y fallait pas songer. Enfin, après de longs débats, on trouva un adroit expédient. on se souvint que Gérasime avait une horreur profonde pour les ivrognes.

They met together. Among them was an old sideboard waiter, nicknamed Uncle Tail, to whom every one looked respectfully for counsel, though all they got out of him was, "Here's a pretty pass! to be sure, to be sure, to be sure!" As a preliminary measure of security, to provide against contingencies, they locked Kapiton up in the lumber-room where the filter was kept; then considered the question with the gravest deliberation. It would, to be sure, be easy to have recourse to force. But Heaven save us! There would be an uproar, the mistress would be put out--it would be awful! What should they do? They thought and thought, and at last thought out a solution. It had many a time been observed that Gerasim could not bear drunkards...

 

Lorsqu’il était en faction au portail, il détournait la tête avec dégoût dès qu’il voyait un pochard cheminer en trébuchant et la casquette sur l’oreille. on engagea donc Tatiana à simuler devant Gérasime la démarche vacillante d’une personne prise de boisson. Après de longues hésitations, la pauvre fille, convenant qu’elle ne sauraitaut rement se défaire de son adorateur, finit par consentir à ce subterfuge.

As he sat at the gates, he would always turn away with disgust when some one passed by intoxicated, with unsteady steps and his cap on one side of his ear. They resolved that Tatiana should be instructed to pretend to be tipsy, and should pass by Gerasim staggering and reeling about. The poor girl refused for a long while to agree to this, but they persuaded her at last; she saw, too, that it was the only possible way of getting rid of her adorer. She went out.

 

Et l’on délivra Capiton, qui après tout avait voix au chapitre.

Gérasime cependant, assis sur une borne près du portail, taquinait rageusement la terre de sa pelle.

De tous les coins, de toutes les fenêtres aux stores baissés des regards le guettaient. Il donna pleinement dans le panneau. Dès qu’il aperçut Tatiana, il lui adressa un signe de tête amical accompagné d’un de ses grognements habituels ; mais en l’examinant de plus près il sursauta, jeta sa pelle et vint coller son visage droit contre celui de la jeune fille qui, tremblante de peur, ferma les yeux et chancela encore davantage…

Kapiton was released from the lumber-room; for, after all, he had an interest in the affair.

Gerasim was sitting on the curbstone at the gates, scraping the ground with a spade...

From behind every corner, from behind every window-blind, the others were watching him...

The trick succeeded beyond all expectations. on seeing Tatiana, at first, he nodded as usual, making caressing, inarticulate sounds; then he looked carefully at her, dropped his spade, jumped up, went up to her, brought his face close to her face... In her fright she staggered more than ever, and shut her eyes...

 

Il la prit par la main, la traîna à travers toute la cour, entra avec elle dans la chambre où était réuni le conseil et la jeta prête à défaillir du côté de Capiton. Il l’observa quelques instants ; puis, après un sourire amer et un geste de dépit, il regagna d’un pas lourd son réduit, où il se tint enfermé durant vingt-quatre heures. Le piqueur Antipe raconta plus tard qu’il était allé l’épier par une fente de la porte : assis sur son lit, le visage entre les mains, Gérasime chantait doucement, c’est-à-dire qu’il grommelait, secouait la tête et se balançait en cadence comme le font les voituriers et les haleurs quand ils entonnent une de leurs mélancoliques complaintes ; sentant le cœur lui serrer à ce spectacle, Antipe s’était précipitamment retiré.

He took her by the arm, whirled her right across the yard, and going into the room where the council had been sitting, pushed her straight at Kapiton.

Tatiana fairly swooned away... Gerasim stood, looked at her, waved his hand, laughed, and went off, stepping heavily, to his garret... For the next twenty-four hours he did not come out of it. The postilion Antipka said afterwards that he saw Gerasim through a crack in the wall, sitting on his bedstead, his face in his hand. From time to time he uttered soft regular sounds; he was wailing a dirge, that is, swaying backwards and forwards with his eyes shut, and shaking his head as drivers or bargemen do when they chant their melancholy songs. Antipka could not bear it, and he came away from the crack.

 

Lorsque, le lendemain, Gérasime sortit de son repaire, on ne remarqua en lui aucun changement notable. Il paraissait toute fois plus revêche encore que de coutume et n’accorda pas la moindre attention ni à Tatiana ni à Capiton. Le soir même, les fiancés se présentèrent chez leur maîtresse, portant sous le bras les deux oies qu’ils devaient offrir suivant l’usage. La noce se fit la semaine suivante. Ce jour-là Gérasime remplit, comme si de rien n’était, sa tâche accoutumée ; seulement il ne rapporta pas une goutte d’eau de la rivière, car il avait brisé son tonneau en route, et quand, à la nuit tombante, il se mit à étriller son cheval, le chétif animal tourbillonnait sous cette poigne de fer comme un fétu sous la tempête.

When Gerasim came out of the garret next day, no particular change could be observed in him. He only seemed, as it were, more morose, and took not the slightest notice of Tatiana or Kapiton. The same evening, they both had to appear before their mistress with geese under their arms, and in a week's time they were married. Even on the day of the wedding Gerasim showed no change of any sort in his behavior. only, he came back from the river without water, he had somehow broken the barrel on the road; and at night, in the stable, he washed and rubbed down his horse so vigorously, it swayed like a blade of grass in the wind, and staggered from one leg to the other under his fists of iron.

 

Ceci se passait au printemps. Une année encore s’écoula, au cours de laquelle Capiton perdit toute retenue et se vit finalement relégué dans une terre de sa maîtresse perdue au fond de la province. Sa femme dut partager son triste sort. Le jour du départ, il fit d’abord le fanfaron, assurant que si même on l’envoyait dans es contrées chimériques où après avoir fait la lessive, les lavandières posent leur battoir sur le bord du ciel, il n’en perdrait pas le nord pour autant. Mais bientôt sa bonne humeur l’abandonna, il se plaignit amèrement d’être désormais contraint à vivre parmi des manants et des rustres. Enfin il tomba dans un tel état de prostration qu’il n’eut même pas la force de mettre sa casquette ; une âme charitable la lui enfonça jusqu’aux yeux et prit soin de ramener ensuite la visière en bonne et due place.

All this had taken place in the spring. Another year passed by, during which Kapiton became a hopeless drunkard, and as being absolutely of no use for anything, was sent away with the store wagons to a distant village with his wife. on the day of his departure, he put a very good face on it at first, and declared that he would always be at home, send him where they would, even to the other end of the world; but later on he lost heart, began grumbling that he was being taken to uneducated people, and collapsed so completely at last that he could not even put his own hat on. Some charitable soul stuck it on his forehead, set the peak straight in front, and thrust it on with a slap from above.

 

Le convoi était prêt à partir ; les paysans prenaient déjà leurs rênes et n’attendaient plus pour se mettre en route que le traditionnel mot d’ordre : « À la garde de Dieu ! » Soudain Gérasime sortit de son repaire, s’approcha de Tatiana et lui fit présent d’un fichu de coton rouge qu’il avait acheté à son intention un an auparavant. La malheureuse, si indifférente jusque-là à toutes les vicissitudes de son existence, ne put cette fois retenir ses larmes et, en bonne chrétienne, embrassa par trois fois son adorateur. Gérasime voulait la reconduire jusqu’à la barrière ; il chemina quelque temps à côté du chariot où elle avait pris place ; mais, parvenu au Gué de Crimée il eut un grand geste de découragement et s’en revint le long de la berge.

When everything was quite ready, and the peasants already held the reins in their hands, and were only waiting for the words "With God's blessing!" to start, Gerasim came out of his garret, went up to Tatiana, and gave her as a parting present a red cotton handkerchief he had bought for her a year ago. Tatiana, who had up to that instant borne all the revolting details of her life with great indifference, could not control herself upon that; she burst into tears, and as she took her seat in the cart, she kissed Gerasim three times like a good Christian. He meant to accompany her as far as the town-barrier, and did walk beside her cart for a while, but he stopped suddenly at the Crimean ford, waved his hand, and walked away along the riverside.

 

C’était le soir. Il marchait à pas lents, les yeux fixés sur la rivière… Soudain il lui sembla qu’un être vivant se débattait dans la vase près du rivage. Il se pencha et distingua un petit chien blanc moucheté de noir qui, tremblant de ses pauvres membres, s’épuisait en efforts infructueux pour sortir de l’eau. Gérasime étendit la main, le saisit, le plaça sur sa poitrine et revint au logis à pas précipités.

It was getting towards evening. He walked slowly, watching the water. All of a sudden he fancied something was floundering in the mud close to the bank. He stooped over, and saw a little white-and-black puppy, who, in spite of all its efforts, could not get out of the water; it was struggling, slipping back, and trembling all over its thin wet little body. Gerasim looked at the unlucky little dog, picked it up with one hand, put it into the bosom of his coat, and hurried with long steps homewards.

 

Arrivé dans sa chambre, il déposa la bestiole sur son lit, l’enveloppa dans sa lourde houppelande, puis courut chercher une botte de paille à l’écurie, une tasse de lait à la cuisine. Il revint, rejeta doucement la houppelande, étala la paille sur le lit, présenta le lait à la pauvre bête qu’il venait de sauver. C’était une chienne qui n’avait pas plus de trois semaines et ne savait pas encore laper la boisson ; elle frissonnait et clignait de ses petits yeux qui venaient à peine de percer et dont l’un paraissait plus grand que l’autre. Entre deux doigts Gérasime lui prit délicatement la tête, lui inclina le museau sur le lait. La chienne se mit à boire avec rapidité, s’ébrouant, s’engouant, tressaillant. Gérasime, la figure épanouie, ne se lassait pas de la regarder. Toute la nuit il fut occupé d’elle : il l’essuyait, la couchait, la dorlotait et finalement il s’endormit près d’elle d’un sommeil paisible et joyeux.

He went into his garret, put the rescued puppy on his bed, covered it with his thick overcoat, ran first to the stable for straw, and then to the kitchen for a cup of milk. Carefully folding back the overcoat, and spreading out the straw, he set the milk on the bedstead. The poor little puppy was not more than three weeks old, its eyes were just open--one eye still seemed rather larger than the other; it did not know how to lap out of a cup, and did nothing but shiver and blink. Gerasim took hold of its head softly with two fingers, and dipped its little nose into the milk. The pup suddenly began lapping greedily, sniffing, shaking itself, and choking. Gerasim watched and watched it, and all at once he laughed outright... All night long he was waiting on it, keeping it covered, and rubbing it dry. He fell asleep himself at last, and slept quietly and happily by its side.

 

Une mère n’a pas plus de sollicitude pour son enfant que Gérasime n’en eut pour son élève, qui pendant quelque temps parut fort chétive et fort laide ; mais elle se remit peu à peu et, grâce aux soins incessants de son sauveur, se transforma au bout de quelque huit mois en une belle épagneule, aux oreilles longues, à la queue touffue relevée en trompette, aux grands yeux expressifs. Elle s’attacha passionnément à Gérasime, qu’elle suivait par tout pas à pas en frétillant de la queue. Sachant, comme tous les muets, qu’il attirait l’attention par ses meuglements, il balbutia ces deux syllabes : « Mou-mou », et la chienne comprit qu’elle devait répondre à ce nom. Les gens de la maison l’appelèrent Moumoune et la prirent eux aussi en affection.

No mother could have looked after her baby as Gerasim looked after his little nursling. At first she--for the pup turned out to be a bitch--was very weak, feeble, and ugly, but by degrees she grew stronger and improved in looks, and, thanks to the unflagging care of her preserver, in eight months' time she was transformed into a very pretty dog of the spaniel breed, with long ears, a bushy spiral tail, and large, expressive eyes. She was devotedly attached to Gerasim, and was never a yard from his side; she always followed him about wagging her tail. He had even given her a name--the dumb know that their inarticulate noises call the attention of others. He called her Mumu. All the servants in the house liked her, and called her Mumu, too.

 

Très intelligente, très caressante pour tous, elle n’aimait vraiment que Gérasime, qui de son côté était fou de cette bête et, soit crainte soit jalousie, ne pouvait voir sans dépit les autres domestiques la cajoler. Tous les matins Moumou le réveillait en le tirant par un pan de sa houppelande, lui amenait par la bride le vieux cheval de trait avec qui elle vivait en bonne intelligence, puis l’accompagnait gravement à la rivière, gardait sa pelle et son balai et ne permettait à personne d’approcher de sa chambre.

She was very intelligent, she was friendly with every one, but was only fond of Gerasim. Gerasim, on his side, loved her passionately, and he did not like it when other people stroked her; whether he was afraid for her, or jealous--God knows! She used to wake him in the morning, pulling at his coat; she used to take the reins in her mouth, and bring him up the old horse that carried the water, with whom she was on very friendly terms. With a face of great importance, she used to go with him to the river; she used to watch his brooms and spades, and never allowed any one to go into his garret.

 

Il avait pratiqué une ouverture dans la porte : dès que Moumou s’y était coulée, elle sautait gaillardement sur le lit, comme sien ce lieu seul elle se sentait pleinement maîtresse de ses actes. Elle ne dormait point de la nuit, mais n’avait garde d’aboyer sans raison comme ces absurdes mâtins qui, posés sur leur train de derrière, le museau en l’air et l’œil à demi-clos, aboient aux étoiles par ennui et d’ordinaire trois fois de suite. Non, Moumou n’élevait sa voix grêle que dans les cas graves : lorsqu’un étranger s’approchait du mur, lorsqu’elle percevait quelque bruitinsolite. Bref c’était une parfaite gardienne.

He cut a little hole in his door on purpose for her, and she seemed to feel that only in Gerasim's garret she was completely mistress and at home; and directly she went in, she used to jump with a satisfied air upon the bed. At night she did not sleep at all, but she never barked without sufficient cause, like some stupid house-dog, who, sitting on its hind-legs, blinking, with its nose in the air, barks simply from dullness, at the stars, usually three times in succession. No! Mumu's delicate little voice was never raised without good reason; either some stranger was passing close to the fence, or there was some suspicious sound or rustle somewhere... In fact, she was an excellent watch-dog.

 

À vrai dire il y avait dans la cour un autre chien, vieil animal jaune tacheté de fauve, qui répondait au nom de Sabot, mais on le tenait toujours à la chaîne, même la nuit et son grand âge ne lui permettait pas de réclamer quelque liberté : pelotonné dans sa niche, il ne faisait entendre que de rares et brefs jappements, dont il semblait comprendre la parfaite inutilité… Moumou ne pénétrait jamais dans les appartements : lorsque Gérasime allait y porter du bois, elle l’attendait sur le perron, dressant l’oreille, tournant la tête tantôt à droite tantôt à gauche au moindre bruit qu’elle percevait derrière la porte…

It is true that there was another dog in the yard, a tawny old dog with brown spots, called Wolf, but he was never, even at night, let off the chain; and, indeed, he was so decrepit that he did not even wish for freedom. He used to lie curled up in his kennel, and only rarely uttered a sleepy, almost noiseless bark, which broke off at once, as though he were himself aware of its uselessness. Mumu never went into the mistress's house; and when Gerasim carried wood into the rooms, she always stayed behind, impatiently waiting for him at the steps, pricking up her ears and turning her head to right and to left at the slightest creak of the door...

 

Une année se passa de la sorte et Gérasime paraissait très content de son sort quand survint un événement inattendu.

So passed another year. Gerasim went on performing his duties as house- porter, and was very well content with his lot, when suddenly an unexpected incident occurred...

Par une belle journée d’été la vieille dame faisait les cent pas dans son salon entourée de ses dames de compagnie.

Fort bien disposée ce jour-là, elle riait, plaisantait, et ses obséquieuses commensales l’imitaient –

non sans appréhension, car malheur à qui n’eût point répondu par un enjouement immédiat et total à ces élans de gaieté, qui d’ailleurs cédaient bientôt la place à une humeur sombre et atrabilaire !

Mais, ce matin-là, tout semblait sourire à la capricieuse personne.

One fine summer day the old lady was walking up and down the drawing-room with her dependants.

She was in high spirits; she laughed and made jokes. Her servile companions laughed and joked too,

but they did not feel particularly mirthful; the household did not much like it, when their mistress was in a lively mood, for, to begin with, she expected from every one prompt and complete participation in her merriment, and was furious if any one showed a face that did not beam with delight; and secondly, these outbursts never lasted long with her, and were usually followed by a sour and gloomy mood.

 

Au saut du lit, comme d’habitude, elle s’était tiré les cartes et avait réuni du premier coup quatre valets dans son jeu, ce qui lui présageait l’accomplissement de tous ses désirs. Puis son thé lui avait paru d’une saveur exquise, ce qui valut à la femme de chambre quelques mots de louange et une gratification de dix kopeks. Un sourire doucereux flottait donc sur ses lèvres ridées tandis qu’elle allait et venait dans son salon. Elle s’approcha d’une fenêtre qui donnait sur un parterre. Au beau milieu de ce parterre Moumou, couchée sous un rosier, rongeait consciencieusement un os. Dès qu’elle l’aperçut :

That day she had got up in a lucky hour; at cards she took the four knaves, which means the fulfilment of one's wishes (she used to try her fortune on the cards every morning), and her tea struck her as particularly delicious, for which her maid was rewarded by words of praise, and by twopence in money. With a sweet smile on her wrinkled lips, the lady walked about the drawing-room and went up to the window. A flower-garden had been laid out before the window, and in the very middle bed, under a rosebush, lay Mumu busily gnawing a bone. The lady caught sight of her.

 

– Seigneur, mon Dieu, s’écria-t-elle, un chien ! À qui est-il donc ?

La suivante à qui elle s’adressait éprouva l’embarras d’un subalterne qui ne sait trop comment interpréter la pensée de son chef.

– Je… ne sais, murmura-t-elle, je crois que c’est au muet.

– Mais vraiment, reprit la dame, c’est une charmante petite bête. Vite, qu’on me l’apporte !

Y a-t-il longtemps qu’il lapossède ? Comment se fait-il que je ne l’aie pas encoreaperçue ?

Vite, dites qu’on me l’apporte.

La dame de compagnie se précipita dans le vestibule.

– Stépane, s’écria-t-elle, dépêchez-vous d’aller chercher Moumou ! Elle est dans le jardin.

– Ah ! on l’appelle Moumou, s’écria la vieille dame.C’est un joli nom.

– Oui, n’est-ce pas, s’empressa d’acquiescer la dame de compagnie. Vite, Stépane, vite !

"Mercy on us!" she cried suddenly; "what dog is that?"

The companion, addressed by the old lady, hesitated, poor thing, in that wretched state of uneasiness which is common in any person in a dependent position who doesn't know very well what significance to give to the exclamation of a superior.

"I d... d... don't know," she faltered; "I fancy it's the dumb man's dog."

"Mercy!" the lady cut her short; "but it's a charming little dog! order it to be brought in.

Has he had it long? How is it I've never seen it before? . . . Order it to be brought in."

The companion flew at once into the hall.

"Boy, boy!" she shouted; "bring Mumu in at once! She's in the flower- garden."

"Her name's Mumu then," observed the lady; "a very nice name."

"Oh, very, indeed!" chimed in the companion. "Make haste, Stepan!"

 

Stépane, un robuste gaillard qui exerçait les fonctions de valet de chambre, se précipita dans le jardin et avança la main pour saisir Moumou, mais l’agile petite bête lui glissa entre les doigt set, la queue dressée, courut se réfugier près de son maître occupé en ce moment à nettoyer son baril, qu’il tournait comme s’il n’eût eu entre les mains qu’un tambour d’enfant. Stépane courut après la chienne et de nouveau voulut s’emparer d’elle aux pieds mêmes de son maître ; mais de nouveau Moumou lui échappa.

Stepan, a sturdy-built young fellow, whose duties were those of a footman, rushed headlong into the flower-garden, and tried to capture Mumu, but she cleverly slipped from his fingers, and with her tail in the air, fled full speed to Gerasim, who was at that instant in the kitchen, knocking out and cleaning a barrel, turning it upside down in his hands like a child's drum. Stepan ran after her, and tried to catch her just at her master's feet; but the sensible dog would not let a stranger touch her, and with a bound, she got away.

 

Elle sautillait, se débattait, au grand amusement de Gérasime qui contemplait ce spectacle avec un sourire ironique. Stépane agacé lui fit comprendre par signes qu’il agissait sur l’ordre de leur maîtresse. Gérasime, fort surpris, souleva Moumou et la remit à Stépane, qui se hâte d’aller la déposer sur le parquet du salon. La dame aussitôt de l’appeler à elle d’une voix caressante ; mais la pauvre bête, effarouchée par ce luxe inconnu, tenta de s’esquiver ; repoussée par l’officieux Stépane, elle se tapit, toute tremblante, contre le mur.

Gerasim looked on with a smile at all this ado; at last, Stepan got up, much amazed, and hurriedly explained to him by signs that the mistress wanted the dog brought in to her. Gerasim was a little astonished; he called Mumu, however, picked her up, and handed her over to Stepan. Stepan carried her into the drawingroom, and put her down on the parquette floor. The old lady began calling the dog to her in a coaxing voice. Mumu, who had never in her life been in such magnificent apartments, was very much frightened, and made a rush for the door, but, being driven back by the obsequious Stepan, she began trembling, and huddled close up against the wall.

 

– Moumou, Moumou, viens près de moi, viens près de ta maîtresse, lui dit la dame. Mais viens donc, petite sotte, n’aie pas peur.

– Allons, Moumou, viens donc, répétèrent à l’envi les suivantes.

Moumou jetait des regards inquiets autour d’elle et ne quittait point sa place.

– Apportez-lui quelque chose à manger, dit la dame. Voyez-moi la petite sotte ! De quoi donc a-t-elle peur ?

– Elle n’est pas encore apprivoisée, insinua d’une voix mielleuse une des caméristes.

Stépane apporta une soucoupe remplie de lait, mais Moumou ne daigna même pas la flairer et trembla de plus belle.

"Mumu, Mumu, come to me, come to your mistress," said the lady; "come, silly thing... don't be afraid."

"Come, Mumu, come to the mistress," repeated the companions. "Come along!"

But Mumu looked round her uneasily, and did not stir.

"Bring her something to eat," said the old lady. "How stupid she is! she won't come to her mistress. What's she afraid of?"

"She's not used to your honor yet," ventured one of the companions in a timid and conciliatory voice.

Stepan brought in a saucer of milk, and set it down before Mumu, but Mumu would not even sniff at the milk, and still shivered, and looked round as before.

 

– Ah, la niaise ! dit la dame en s’approchant d’elle et en se baissant pour la caresser.

D’un geste convulsif Moumou détourna la tête et montra les dents. La dame se hâta de retirer sa main…

Il y eut un moment de silence. Moumou poussa un léger cri comme pour se plaindre ou pour s’excuser.

La dame, soudain renfrognée, s’éloigna : le brusque mouvement de la chienne lui avait fait peur.

"Ah, what a silly you are!" said the lady, and going up to her, she stooped down, and was about to stroke her, but Mumu turned her head abruptly, and showed her teeth. The lady hurriedly drew back her hand....

A momentary silence followed. Mumu gave a faint whine, as though she would complain and apologize....

The old lady moved back, scowling. The dog's sudden movement had frightened her.

 

– Ah, mon Dieu, s’écrièrent à l’envi ses parasites, vous aurait-elle mordue ?

De sa vie, l’innocente Moumou n’avait mordu personne !

– Emportez-la ! s’écria la vieille dame d’une voix changée.

La vilaine bête, comme elle est méchante !

Et tournant lentement sur elle-même, elle se dirigea vers son boudoir.

Ses compagnes échangèrent un coup d’œil perplexe et firentmine de la suivre.

Mais arrivée à la porte, elle s’arrêta et les foudroyant d’un regard glacial :

– Que voulez-vous ? leur dit-elle. Vous ai-je priées de me suivre ?

Et elle disparut.

"Ah!" shrieked all the companions at once, "she's not bitten you, has she? Heaven forbid!

Mumu had never bitten any one in her life !

"Take her away," said the old lady in a changed voice.

"Wretched little dog! What a spiteful creature!"

And, turning round deliberately, she went towards her boudoir.

Her companions looked timidly at one another, and were about to follow her,

but she stopped, stared coldly at them, and said, "What's that for, pray? I've not called you," and went out.

Aux gestes impérieux des dames de la suite Stépane comprit qu’il fallait emmener Moumou et s’en fut la jeter tout droit aux pieds de Gérasime. Une demi-heure plus tard, un silence profond régnait dans la maison et la vieille dame, immobile sur son canapé, semblait plus sombre qu’une nuée d’orage. Qu’il faut peu de chose parfois pour bouleverser une nature humaine !

The companions waved their hands to Stepan in despair. He picked up Mumu, and flung her promptly outside the door, just at Gerasim's feett.

Half an hour later a profound stillness led in the house, and the old lady sat on her sofa looking blacker than a thundercloud. What trifles, if you think of it, will sometimes disturb any one!

 

La méchante humeur de la dame la pour suivit toute la journée : elle ne joua point aux cartes et n’adressa la parole à personne. La nuit venue, elle ne put trouver le sommeil. L’eau de Cologne qu’on lui apporta n’était pas, à l’en croire, celle dont elle se servait habituellement ; puis son oreiller avait une odeur de savon ; la femme de charge dut flairer tout le linge avant de trouver une taie qui lui convînt. Bref la délicate personne avait ses « nerfs ».

Till evening the lady was out of humor; she did not talk to any one, did not play cards, and passed a bad night. She fancied the eau-de-Cologne they gave her was not the same as she usually had, and that her pillow smelt of soap, and she made the wardrobe-maid smell all the bed linen-- in fact she was very upset and cross altogether.

 

Le lendemain matin elle fit appeler Gavril une heure plustôt que de coutume.

– Dis-moi, s’écria-t-elle, dès qu’elle le vit franchir nonsans appréhension le seuil de son boudoir, quel est ce chien qui a aboyé toute la nuit et qui m’a empêchée de dormir ?

– Un chien ?… Je ne sais trop, répondit Gavril d’une voix mal assurée. À moins que ce ne soit celui du muet…

– Je me soucie peu qu’il appartienne au muet ou à quelqu’un d’autre. Ce que je sais, c’est qu’à cause de lui je n’ai pas pu fermer l’œil. Je ne comprends vraiment pas ce que font ici tous ces chiens. N’avons-nous déjà pas un chien de garde ?

– Que si, le vieux Sabot.

Next morning she ordered Gavrila to be summoned an hour earlier than usual.

"Tell me, please," she began, directly the latter, not without some inward trepidation, crossed the threshold of her boudoir, "what dog was that barking all night in our yard? It wouldn't let me sleep!"

"A dog,'m... what dog,'m... may be, the dumb man's dog,'m," he brought out in a rather unsteady voice.

"I don't know whether it was the dumb man's or whose, but it wouldn't let me sleep. And I wonder what we have such a lot of dogs for! I wish to know. We have a yard dog, haven't we?"

"Oh yes,'m, we have,'m. Wolf,'m."

 

– Pourquoi donc en prendre encore un ? Voilà ce que j’appelle du désordre. Décidément il manque une tête dans cette maison. Et pourquoi le muet a-t-il un chien ? qui le lui a permis ? Hier, je me suis approchée de la fenêtre ; cette vilaine bête était sous mes rosiers en train de ronger je ne sais quelle horreur…

Après un instant de silence, la dame ajouta :

– Que ce chien disparaisse aujourd’hui même… C’est compris ?

– Parfaitement.

– Aujourd’hui même… Et maintenant retire-toi. Tu me feras ton rapport plus tard.

"Well, why more? what do we want more dogs for? It's simply introducing disorder. There's no one in control in the house--that's what it is. And what does the dumb man want with a dog? Who gave him leave to keep dogs in my yard? Yesterday I went to the window, and there it was lying in the flower-garden; it had dragged in nastiness it was gnawing, and my roses are planted there..."

The lady ceased.

"Let her be gone from to-day...do you hear?"

"Yes,'m."

"To-day. Now go. I will send for you later for the report."

Gavrila went away.

 

Gavril sortit. Dans le petit salon, il transporta pour la bonne règle la sonnette d’un guéridon sur un autre ; dans le grand salon, il moucha en sourdine son nez de canard ; dans l’antichambre il découvrit Stépane qui dormait sur un coffre, ses pieds nus sortant de dessous le surtout qui lui servait decouverture, tel qu’on représente les guerriers tués sur les tableaux de bataille. Il le réveilla et lui donna à voix basse un ordre auquel le valet répondit par un son qui tenait du bâillement et de l’éclat de rire. Tandis que le majordome s’éloignait, Stépane sauta à bas de son coffre, revêtit son caftan, chaussa ses bottes et alla se poster près de la porte.

As he went through the drawing-room, the steward, by way of maintaining order, moved a bell from one table to another; he stealthily blew his duck-like nose in the hall, and went into the outer-hall. In the outer-hall, on a locker, was Stepan asleep in the attitude of a slain warrior in a battalion picture, his bare legs thrust out below the coat which served him for a blanket. The steward gave him a shove, and whispered some instructions to him, to which Stepan responded with something between a yawn and a laugh. The steward went away, and Stepan got up, put on his coat and his boots, went out and stood on the steps.

 

Cinq minutes plus tard, Gérasime parut portant une énorme charge de bois, car été comme hiver la vieille dame voulait qu’il y eût du feu dans sa chambre et dans son boudoir. La fidèle Moumou, qui l’accompagnait, s’arrêta sur le seuil. Cependant Gérasime s’enfonça avec son fardeau dans les appartements après avoir poussé la porte de l’épaule, mouvement qui déroba Stépane à sa vue. Alors le rusé valet fondit sur la chienne comme le vautour sur un poulet, l’étourdit en la pressant de sa poitrine contre le sol, puis l’étreignant dans ses bras, il sortit au galop sans même prendre sa casquette, se jeta dans le premier fiacre venu et se fit conduire aux Halles. Là il eut tôt fait de vendre la chienne pour une pièce de cinquante kopeks, à la condition expresse qu’on la tiendrait à l’attache pendant au moins huit jours. Il remonta sur-le-champ dans son fiacre, mais il le quitta à quelque distance de la maison, ne voulant pas s’exposer à rencontrer Gérasime au portail ; enfilant une venelle qui longeait les derrières de l’hôtel, il opéra sa rentrée en escaladant la clôture.

Five minutes had not passed before Gerasim made his appearance with a huge bundle of hewn logs on his back, accompanied by the inseparable Mumu. (The lady had given orders that her bedroom and boudoir should be heated at times even in the summer.) Gerasim turned sideways before the door, shoved it open with his shoulder, and staggered into the house with his load. Mumu, as usual, stayed behind to wait for him. Then Stepan, seizing his chance, suddenly pounced on her, like a kite on a chicken, held her down to the ground, gathered her up in his arms, and without even putting on his cap, ran out of the yard with her, got into the first fly he met, and galloped off to a market-place. There he soon found a purchaser, to whom he sold her for a shilling, on condition that he would keep her for at least a week tied up; then he returned at once. But before he got home, he got off the fly, and going right round the yard, jumped over the fence into the yard from a back street. He was afraid to go in at the gate for fear of meeting Gerasim.

 

Précaution bien inutile : Gérasime n’était pas là. En sortant des appartements, il n’avait plus retrouvé Moumou ; ne se souvenant point qu’elle se fût jamais écartée du seuil où elle l’attendait, il s’était aussitôt mis à sa recherche, l’appelant à sa manière, courant de côté et d’autre, dans sa chambre, dans le grenier à foin, jusque dans la rue : point de Moumou. En désespoir de cause Gérasime s’adressa aux autres domestiques, leur demandant par signes s’ils n’avaient point vu sa chienne : il la dépeignait naïvement avec ses doigts, posait sa main à quelques pouces au-dessus du sol, etc. Les uns, ignorant ce qui s’était passé, secouaient la tête ; les autres, au fait de l’aventure, riaient dans leur barbe.

Le majordome prit ses grands airs et se mit à crier contre les cochers.

His anxiety was unnecessary, however; Gerasim was no longer in the yard. on coming out of the house he had at once missed Mumu. He never remembered her failing to wait for his return, and began running up and down, looking for her, and calling her in his own way... He rushed up to his garret, up to the hay-loft, ran out into the street, this way and that... She was lost! He turned to the other serfs, with the most despairing signs, questioned them about her, pointing to her height from the ground, describing her with his hands... Some of them really did not know what had become of Mumu, and merely shook their heads; others did know, and smiled to him for all response; while the steward assumed an important air, and began scolding the coachmen.

 

Alors Gérasime, n’y tenant plus, se sauva pour ne rentrer qu’à la nuit. Son visage abattu, sa démarche incertaine, ses vêtements poussiér eux laissaient entendre qu’il avait par couru la moitié de Moscou. Il s’arrêta devant les fenêtres de la maison, jeta un regard sur le perron où se trouvaient réunis une demi-douzaine de valets et meugla encore une fois :« Mou-mou !… » Moumou ne répondit pas. Alors il s’éloigna. Tous le suivaient des yeux, mais personne n’osa ni sourire ni même souffler mot… Le lendemain l’indiscret Antipe raconta à la cuisine que le muet n’avait fait que geindre toute la nuit.

Then Gerasim ran right away out of the yard. It was dark by the time he came back. From his worn-out look, his unsteady walk, and his dusty clothes, it might be surmised that he had been running over half Moscow. He stood still opposite the windows of the mistress's house, took a searching look at the steps where a group of house-serfs were crowded together, turned away, and uttered once more his inarticulate "Mumu." Mumu did not answer. He went away. Every one looked after him, but no one smiled or said a word, and the inquisitive postilion Antipka reported next morning in the kitchen that the dumb man had been groaning all night.

 

Ce jour-là Gérasime ne parut pas, au grand déplaisir du cocher Potape qui dut aller à sa place faire la provision d’eau. La dame demanda à Gavril s’il s’était souvenu de ses ordres et le compère s’empressa de répondre qu’ils étaient exécutés.

Le jour suivant, Gérasime sortit de sa retraite et reprit son travail. Il vint dîner avec ses camarades puis se retira sans saluer personne. Son visage naturellement dépourvu d’expression, comme celui de tous les sourds-muets, semblait à présent pétrifié. Après le dîner il sortit de nouveau, mais ne resta pas longtemps dehors ; aussitôt rentré, il se réfugia dans le grenier.

All the next day Gerasim did not show himself, so that they were obliged to send the coachman Potap for water instead of him, at which the coachman Potap was anything but pleased. The lady asked Gavrila if her orders had been carried out. Gavrila replied that they had.

The next morning Gerasim came out of his garret, and went about his work. He came in to his dinner, ate it, and went out again, without a greeting to any one. His face, which had always been lifeless, as with all deaf-mutes, seemed now to be turned to stone. After dinner he went out of the yard again, but not for long; he came back, and went straight up to the hay-loft.

 

La nuit vint, une nuit de lune, claire et sereine. Couché sur le foin, Gérasime dormait d’un sommeil agité, respirant avec peine et se retournant à chaque instant. Tout à coup il lui sembla qu’on le tirait par un pan de sa houppelande ; il tressaillit mais ne leva pas la tête et ferma même les yeux. Mais le tiraillement recommence de plus belle ;Gérasime bondit de sa couche et… reconnaît Moumou, un bout de corde brisé à son cou. Un long cri de joie s’échappe de sa poitrine muette : il serre dans ses bras sa fidèle chienne, qui lui lèche follement les yeux, le nez, la barbe, la moustache…

Night came on, a clear moonlight night. Gerasim lay breathing heavily, and incessantly turning from side to side. Suddenly he felt something pull at the skirt of his coat. He started, but did not raise his head, and even shut his eyes tighter. But again there was a pull, stronger than before; he jumped up before him, with an end of string round her neck, was Mumu, twisting and turning. A prolonged cry of delight broke from his speechless breast; he caught up Mumu, and hugged her tight in his arms, she licked his nose and eyes, and beard and moustache, all in one instant....

 

Après avoir cédé à cet élan de bonheur, Gérasime se prit à réfléchir, puis il descendit du grenier avec circonspection et voyant que personne ne l’observait, regagna son gîte sans encombre. Il avait déjà deviné que Moumou ne s’était point échappée, mais qu’on la lui avait en levée sur l’ordre de sa maîtresse à qui elle avait montré les dents, comme certains de ses compagnons le lui avaient fait comprendre par gestes. Il fallait donc prendre des mesures de sûreté. Il lui donna d’abord quelques bouchées de pain, la caressa, la coucha sur son lit, puis après avoir songé de longues heures au meilleur moyen de la dérober aux regards, il résolut de la garder tout le jour enfermée dans sa chambre, en l’allant voir de temps à autre, et de ne la faire sortir que pendant la nuit. Il boucha avec un vieux caftan l’ouverture qu’il avait pratiquée à sa porte pour Moumou, et à peine le jour commençait-il à poindre qu’il descendit dans la cour comme si de rien n’était, affectant même – ruse bien innocente – la même tristesse morne que la veille. Le pauvre muet ne se doutait guère que les aboiements de Moumou la trahiraient.

Bientôt en effet les domestiques connurent le secret de Gérasime ; mais, soit pitié, soit crainte, ils n’en laissèrent rien paraître. Le majordome se gratta bien la tête, mais résolut de laisser aller les choses : « Tant pis, à la garde de Dieu ! Peut-être que notre dame n’en saura rien. »

He stood a little, thought a minute, crept cautiously down from the hay-loft, looked round, and having satisfied himself that no one could see him, made his way successfully to his garret. Gerasim had guessed before that his dog had not got lost by her own doing, that she must have been taken away by the mistress's orders; the servants had explained to him by signs that his Mumu had snapped at her, and he determined to take his own measures. First he fed Mumu with a bit of bread, fondled her, and put her to bed, then he fell to meditating, and spent the whole night long in meditating how he could best conceal her.

At last he decided to leave her all day in the garret, and only to come in now and then to see her, and to take her out at night. The hole in the door he stopped up effectually with his old overcoat, and almost before it was light he was already in the yard, as though nothing had happened, even--innocent guile!--the same expression of melancholy on his face. It did not even occur to the poor deaf man that Mumu would betray herself by her whining; in reality, everyone in the house was soon aware that the dumb man's dog had come back, and was locked up in his garret, but from sympathy with him and with her, and partly, perhaps, from dread of him, they did not let him know that they had found out his secret. The steward scratched his head, and gave a despairing wave of his head, as much as to say, "Well, well, God have mercy on him! If only it doesn't come to the mistress's ears!"

 

Gérasime travailla ce jour-là avec une ardeur extraordinaire : il nettoya toute lacour, sarcla tout le jardin, enleva les pieux de la clôture pour s’assurer de leur solidité et les replanta avec soin. Il se donna tant de peine que la dame elle-même remarqua son zèle. Une ou deux fois dans le cours de la journée il alla voir à la dérobée sa chère recluse ; la nuit venue, il se coucha non point au grenier mais auprès d’elle et attendit une heure passée pour l’emmener respirer l’air frais. Il la promenait depuis un certain temps et se disposait à rentrer quand un bruit confus s’éleva dans la venelle. Moumou dressa les oreilles, s’approcha de la clôture, flaira le solet lança un aboiement perçant : un ivrogne s’était couché au pied de la palissade pour y passer la nuit.

But the dumb man had never shown such energy as on that day; he cleaned and scraped the whole courtyard, pulled up every single weed with his own hand, tugged up every stake in the fence of the flower-garden, to satisfy herself that they were strong enough, and unaided drove them in again; in fact, he toiled and labored so that even the old lady noticed his zeal. Twice in the course of the day Gerasim went stealthily in to see his prisoner; when night came on, he lay down to sleep with her in the garret, not in the hay-loft, and only at two o'clock in the night he went out to take her a turn in the fresh air. After walking about the courtyard a good while with her, he was just turning back, when suddenly a rustle was heard behind the fence on the side of the back street. Mumu pricked up her ears, growled--went up to the fence, sniffed, and gave vent to a loud shrill bark. Some drunkard had thought fit to take refuge under the fence for the night.

 

En ce moment la dame venait de s’endormir après une longue crise nerveuse, une de ces crises qui la prenaient d’ordinaire après un souper trop substantiel. Les aboiements subits de la chienne la réveillèrent en sursaut ; elle sentit son cœur battre violemment puis défaillir.

– Au secours, au secours ! gémit-elle.

Ses femmes accoururent tout effarées.

– Ah je me meurs, soupira-t-elle en se tordant les mains. Encore ce chien, cet affreux chien i…

Qu’on appelle le docteur. on veut me tuer. Ah, ce chien ! Ah !

Et, prête à rendre l’âme, elle rejeta la tête en arrière.

At that very time the old lady had just fallen asleep after a prolonged fit of "nervous agitation"; these fits of agitation always overtook her after too hearty a supper. The sudden bark waked her up: her heart palpitated, and she felt faint. "Girls, girls!" she moaned. "Girls!" The terrified maids ran into her bedroom. "Oh, oh, I am dying!" she said, flinging her arms about in her agitation. "Again, that dog, again!... Oh, send for the doctor. They mean to be the death of me.... The dog, the dog again! Oh!" And she let her head fall back, which always signified a swoon.

 

On courut chercher le docteur, c’est-à-dire le« guérisseur » Chariton. Ce personnage, dont tout l’art consistait à porter des bottes à semelles fines, à dormir quatorze heures sur vingt-quatre et à soupirer les dix autres, à tâter délicatement le pouls de sa noble maîtresse et à lui administrer àtout bout de champ des gouttes de laurier-cerise, ce personnage donc accourut précipitamment, commença par faire brûler des plumes pour tirer la malade de sa pâmoison ; puis, dès qu’il la vit rouvrir les yeux, il lui présenta sur un plateau d’argent un verre de la fameuse panacée.

They rushed for the doctor, that is, for the household physician, Hariton. This doctor, whose whole qualification consisted in wearing soft-soled boots, knew how to feel the pulse delicately. He used to sleep fourteen hours out of the twenty-four, but the rest of the time he was always sighing, and continually dosing the old lady with cherrybay drops. This doctor ran up at once, fumigated the room with burnt feathers, and when the old lady opened her eyes, promptly offered her a wineglass of the hallowed drops on a silver tray.

 

Quand la noble dame eut avalé cette potion, elle recommença d’une voix larmoyante à se plaindre du chien, de Gavril, de son malheureux sort. « Pauvre vieille que je suis, gémissait-elle, tout le monde m’abandonne, personne n’a pitié de moi, on n’aspire qu’à me voir mourir ! » Cependant l’infortunée Moumounese taisait toujours point et Gérasime essayait en vain de l’éloigner de la palissade.

– Encore… encore ! balbutia la malade en roulant des yeux égarés.

Le guérisseur murmura quelques mots à l’oreille d’une femme de chambre. Celle-ci courut dans l’antichambre éveiller Stépane, qui courut éveiller Gavril, lequel dans le feu du premier mouvement mit sur pied toute la maison.

The old lady took them, but began again at once in a tearful voice complaining of the dog, of Gavrila, and of her fate, declaring that she was a poor old woman, and that every one had forsaken her, no one pitied her, every one wished her dead. Meanwhile the luckless Mumu had gone on barking, while Gerasim tried in vain to call her away, from the fence. "There... there... again," groaned the old lady, and once more she turned up the whites of her eyes. The doctor whispered to a maid, she rushed into the outer hall, and shook Stepan, he ran to wake Gavrila, Gavrila in a fury ordered the whole household to get up.

 

Gérasime en se retournant vit des lumières trembloter, desombres circuler derrière les fenêtres. Il pressentit un malheur, prit Moumou sous son bras, s’en fuit dans son repaire et s’y enferma. Quelques instants plus tard cinq escogriffes essayaient en vain d’enfoncer sa porte : le verrou ne céda point. Gavril accourut en proie à une agitation extrême et leur ordonna de rester là en faction jusqu’au matin ; puis il se précipita dans la chambre des suivantes et, par l’entremise de la première camériste, Lioubov Lioubimovna, avec qui il dérobait le thé, le sucre et les épices de la maison, il fit dire à sa patronne que la misérable chienne était en effet revenue, mais que le lendemain elle ne serait plus de ce monde ; il suppliait donc son excellente maîtresse de se tranquilliser. Malgré ce message rassurant, l’excellente maîtresse ne se fût sans doute point tranquillisée de sitôt si le guérisseur ne lui avait par mégarde versé quarante gouttes de laurier-cerise au lieu de douze : au bout d’un quart d’heure elle s’endormit donc d’un sommeil de plomb, cependant que Gérasime, le visage défait, serrait sur son lit le museau de Moumou.

Grasim turned round, saw lights and shadows moving in the windows, and with an instinct of coming trouble in his heart, put Mumu under his arm, ran into his garret, and locked himself in. A few minutes later five men were banging at his door, but feeling the resistance of the bolt, they stopped. Gavrila ran up in a fearful state of mind, and ordered them all to wait there and watch till morning. Then he flew off himself to the maids' quarter, and through an old companion, Liubov Liubimovna, with whose assistance he used to steal tea, sugar, and other groceries and to falsify the accounts, sent word to the mistress that the dog had unhappily run back from somewhere, but that to-morrow she should be killed, and would the mistress be so gracious as not to be angry and to overlook it. The old lady would probably not have been so soon appeased, but the doctor had in his haste given her fully forty drops instead of twelve. The strong dose of narcotic acted; in a quarter of an hour the old lady was in a sound and peaceful sleep; while Gerasim was lying with a white face on his bed, holding Mumu's mouth tightly shut.

 

Le lendemain, la dame s’éveilla tard. Gavril attendait son réveil pour donner l’ordre d’enlever le fort de Gérasime, tout en se préparant lui-même à subir un orage. Mais l’orage n’éclata point. La veuve fit appeler sa favorite.

– Lioubov Lioubimovna, commença-t-elle de cette voix alanguie qu’elle aimait à prendre quand, à l’extrême confusion de ses gens, elle se faisait passer pour une pauvre martyre délaissée, vous voyez, ma chère, dans quel état je suis. Allez, je vous en supplie, trouver Gavril Andréitch, parlez-lui. Le premier chien venu lui est-il vraiment plus cher que la tranquillité, que la vie même de sa maîtresse ?… Non, je ne veux pas le croire, ajouta-t-elle avec un profond sentiment de tristesse. Allez, ma bonne, rendez-moi ce service.

Next morning the lady woke up rather late. Gavrila was waiting till she should be awake, to give the order for a final assault on Gerasim's stronghold, while he prepared himself to face a fearful storm. But the storm did not come off. The old lady lay in bed and sent for the eldest of her dependent companions.

"Liubov Liubimovna," she began in a subdued weak voice--she was fond of playing the part of an oppressed and forsaken victim; needless to say, every one in the house was made extremely uncomfortable at such times-- "Liubov Liubimovna, you see my position; go, my love, to Gavrila Andreitch, and talk to him a little. Can he really prize some wretched cur above the repose--the very life--of his mistress? I could not bear to think so," she added, with an expression of deep feeling. "Go, my love; be so good as to go to Gavrila Andreitch for me."

 

Lioubov Lioubimovna s’en alla incontinent trouver le majordome. Quelles furent leurs réflexions ? on ne sait. Mais quelques instants plus tard, tous les domestiques se dirigèrent vers le réduit de Gérasime. À leur tête s’avançait Gavril, retenant d’une main sa casquette, bien qu’il n’y eût pas l’ombre de vent ; près de lui marchaient les laquais et les gâte-sauce ; une bande de galopins, dont une bonne moitié venait du dehors, gambadaient et grimaçaient à l’arrière ; de sa fenêtre le père La Queue commandait la marche, c’est-à-dire qu’il se contentait d’agiter les bras. Sur l’étroit escalier qui menait à la cellule de Gérasime, un homme se tenait en sentinelle ; deux autres,armés de bâtons, montaient la garde à la porte. Quand on eut solidement occupé l’escalier, Gavril s’approcha de la porte, la frappa du poing et cria :

– Ouvre !

Liubov Liubimovna went to Gavrila's room. What conversation passed between them is not known, but a short time after, a whole crowd of people was moving across the yard in the direction of Gerasim's garret. Gavrila walked in front, holding his cap on with his hand, though there was no wind. The footmen and cooks were close behind him; Uncle Tail was looking out if a window, giving instructions, that is to say, simply waving his hands. At the rear there was a crowd of small boys skipping and hopping along; half of them were outsiders who had run up. on the narrow staircase leading to the garret sat one guard; at the door were standing two more with sticks. They began to mount the stairs, which they entirely blocked up. Gavrila went up to the door, knocked with his fist, shouting, "Open the door!"

 

On perçut un aboiement étouffé ; mais de réponse, point.

– Ouvre, qu’on te dit ! hurla de plus belle le majordome.

– Gavril Andréitch, lui cria d’en bas Stépane, n’oubliez pas qu’il est sourd, il ne vous entend point !

Tout le monde éclata de rire.

– Comment faire, alors ? riposta d’en haut Gavril.

– Y a un trou dans la porte ; passez-y votre bâton et agitez-le.

Gavril se pencha.

– Il l’a bouché avec son caftan.

– Eh bien poussez-le en dedans, le caftan.

Un second aboiement contenu s’éleva.

– Tiens, v’là la bête qui se dénonce elle-même, fit remarquer un des assaillants ; et ce fut de nouveau un éclat de rire général.

Gavril se gratta la nuque.

– Ma foi, décida-t-il, j’aime autant que tu le pousses toi-même.

– Comme vous voudrez.

Stépane escalada l’escalier, enfonça son bâton dans le trou et l’agita en criant :

– Sors donc, sors donc !

Tout à coup la porte s’ouvrit brusquement et toute lav aletaille, Gavril en tête, prit ses jambes à son cou. Le père La Queue ferma sa fenêtre.

– Holà : cria Gavril quand il se retrouva dans la cour. Faudrait voir à pas faire le malin !

A stifled bark was audible, but there was no answer.

"Open the door, I tell you," he repeated.

"But, Gavrila Andreitch," Stepan observed from below, "he's deaf, you know--he doesn't hear."

They all laughed.

"What are we to do? "Gavrila rejoined from above.

"Why, there's a hole there in the door," answered Stepan, "so you shake the stick in there."

Gavrila bent down.

"He's stuffed it up with a coat or something."

"Well, you just push the coat in."

At this moment a smothered bark was heard again.

"See, see--she speaks for herself," was remarked in the crowd, and again they laughed.

Gavrila scratched his ear.

"No, mate," he responded at last, "you can poke the coat in yourself, if you like."

"All right, let me."

And Stepan scrambled up, took the stick, pushed in the coat, and began waving the stick about in the opening, saying, "Come out, come out!" as he did so. He was still waving the stick, when suddenly the door of the garret was flung open; all the crowd flew pell-mell down the stairs instantly, Gavrila first of all. Uncle Tail locked the window.

"Come, come, come," shouted Gavrila from the yard, "mind what you're about."

 

Immobile sur le seul de son gîte, Gérasime, les mains sur les hanches, considérait la troupe qui se pressait au bas de l’escalier ; en face de ces faquins engoncés dans des habits à l’européenne, sa solide carrure et son ample blouse rouge lui donnaient des airs de géant.

Gavril fit un pas en avant.

– Tâche de filer doux, hein !

Et il se mit à lui expliquer par signes que leur maîtresse exigeait qu’il se défît sur l’heure de sa chienne : en cas de refus, gare !

Gérasime le regarda, puis montra du doigt Moumou, promena sa main autour de son cou comme s’il y passait une corde et interrogea du regard le majordome.

– Oui, oui, c’est cela, confirma Gavril en hochant le chef.

Gerasim stood without stirring in his doorway. The crowd gathered at the foot of the stairs.

Gerasim, with his arms akimbo, looked down at all these poor creatures in German coats; in his red peasant's shirt he looked like a giant before them. Gavrila took a step forward.

"Mind, mate," said he, "don't be insolent."

And he began to explain to him by signs that the mistress insists on having his dog; that he must hand it over at once, or it would be the worse for him.

Gerasim looked at him, pointed to the dog, made a motion with his hand round his neck, as though he were pulling a noose tight, and glanced with a face of inquiry at the steward.

"Yes, yes," the latter assented, nodding;" yes, just so."

 

Gérasime baissa la tête, puis, la relevant brusquement, il désigna encore une fois Moumou qui pendant cet étrange colloque était restée près de lui, agitant innocemment la queue et dressant l’oreille avec curiosité, répéta le signe qu’il avait déjà fait autour de son cou, se frappa violemment la poitrine comme poursignifier qu’il se chargeait lui-même de l’exécution.

– Qui me dit que tu tiendras ta promesse ? objecta Gavril, en s’aidant toujours de signes.

Gérasime le regarda fixement avec un sourire de mépris, se frappa de nouveau la poitrine, et rentra dans sa cellule, dont il referma bruyamment la porte.

Sans mot dire, les assaillants échangèrent un regard.

– Qu’est-ce que cela signifie ? s’écria enfin Gavril.Il s’est renfermé ?

Gerasim dropped his eyes, then all of a sudden roused himself and pointed to Mumu, who was all the while standing beside him, innocently wagging her tail and pricking up her ears inquisitively. Then he repeated the strangling action round his neck and significantly struck himself on the breast, as though announcing he would take upon himself the task of killing Mumu.

"But you'll deceive us," Gavrila waved back in response.

Gerasim looked at him, smiled scornfully, struck himself again on the breast, and slammed to the door.

They all looked at one another in silence.

"What does that mean?" Gavrila began. "He's locked himself in."

 

– Laissez-le tranquille, Gavril Andréitch, conseilla Stépane. Du moment qu’il vous a donné sa parole, soyez sûr qu’il la tiendra. Cet homme-là, voyez-vous, ça n’a qu’un mot, c’est pas comme nous autres, faut dire ce qu’y en est.

– Pour sûr, approuvèrent tous les valets en secouant latête, c’est la vérité vraie.

– Oui, confirma le père La Queue, qui venait de rouvrir sa fenêtre.

– Soit, dit Gavril, mais nous n’en devons pas moins être sur nos gardes.

Holà, Iérochka, ajouta-t-il en se tournant vers un pâle individu en casaquin jaune qui prenait le titre de jardinier, toi qui n’as rien à faire, prends un bâton, assieds-toi là et dès qu’il arrivera quelque chose, accours me prévenir.

"Let him be, Gavrila Andreitch," Stepen advised; "he'll do it if he's promised. He's like that, you know.... If he makes a promise, it's a certain thing. He's not like us others in that. The truth's the truth with him. Yes, indeed."

"Yes," they all repeated, nodding their heads, "yes--that's so--yes."

Uncle Tail opened his window, and he too said, "Yes."

"Well, may be, we shall see," responded Gavrila; "any way, we won't take off the guard.

Here you, Eroshka!" he added, addressing a poor fellow in a yellow nankeen coat, who considered himself to be a gardener, "what have you to do? Take a stick and sit here, and if anything happens, run to me at once!"

 

Iérochka prit un bâton et s’installa sur la dernière marche de l’escalier. Tandis que la troupe se dispersait, à l’exception de quelques curieux et de quelques galopins, Gavril rentra à la maison où, par l’entremise de Lioubov Lioubimovna, il fit dire à la maîtresse de céans que ses volontés étaient accomplies ; à tout hasard il envoya pourtant le piqueur chercher un agent de police. La vieille dame fit un nœud à son mouchoir, y versa de l’eau de Cologne, la respira, s’en frotta les tempes, absorba une tasse de thé, et, comme elle était encore sous l’influence des gouttes de laurier-cerise, elle se rendormit.

Eroshka took a stick, and sat down on the bottom stair. The crowd dispersed, all except a few inquisitive small boys, while Gavrila went home and sent word through Liubov Liubimovna to the mistress that everything had been done, while he sent a postilion for a policeman in case of need. The old lady tied a knot in her handkerchief, sprinkled some eau-de-Cologne on it, sniffed at it, and rubbed her temples with it, drank some tea, and, being still under the influence of the cherrybay drops, fell asleep again.

 

Une heure après cette chaude alarme, Gérasime, revêtu de son caftan des dimanches et tenant en laisse Moumou apparut à la porte de son réduit. Iérochka se rangea à son approche et le laissa passer. Gérasime se dirigea vers le portail, suivi des yeux par les quelques gamins qui flânaient encore dans la cour. Il ne fit aucune attention à eux et ne mit sa casquette sur sa tête que lorsqu’il fut dans la rue. Gavril dépêcha à ses trousses Iérochka qui, le voyant entrer dans un cabaret, se posta près de là pour attendre sa sortie.

An hour after all this hubbub the garret door opened, and Gerasim showed himself. He had on his best coat; he was leading Mumu by a string. Eroshka moved aside and let him pass. Gerasim went to the gates. All the small boys in the yard stared at him in silence. He did not even turn round; he only put his cap on in the street. Gavrila sent the same Eroshka to follow him and keep watch on him as a spy. Eroshka, seeing from a distance that he had gone into a cookshop with his dog, waited for him to come out again.

 

Le muet était connu dans cet établissement ; on y comprenait ses signes. Il demanda la soupe et le bœuf et s’assit les coudes sur la table. Moumou s’installa auprès de lui, le regardant de ses yeux expressifs ; son poil luisant montrait qu’elle venait d’être brossée. Quand on eut servi Gérasime, il émietta du pain dans la soupe, coupa le bœuf en petits morceaux et posa l’écuelle par terre. Moumou se mit à manger avec sa délicatesse habituelle, touchant à peine les mets du bout de son museau. Son maître la contempla longuement ; tout à coup deux grosses larmes s’échappèrent de ses yeux : l’une tomba dans la soupe, l’autre sur le front bombé de la chienne. Gérasime cacha sa figure dans ses mains. Quand elle eut avalé une demi-écuellée, la chienne s’éloigna en se pour léchant les lèvres. Gérasime se leva, paya et sortit sous le regard interdit du garçon. Dès qu’il le vit venir, Iérochka se dissimula dans un coin, pour le suivre bientôt à quelque distance.

Gerasim was well known at the cookshop, and his signs were understood. He asked for cabbage soup with meat in it, and sat down with his arms on the table. Mumu stood beside his chair, looking calmly at him with her intelligent eyes. Her coat was glossy; one could see she had just been combed down. They brought Gerasim the soup. He crumbled some bread into it, cut the meat up small, and put the plate on the ground. Mumu began eating in her usual refined way, her little muzzle daintily held so as scarcely to touch her food. Gerasim gazed a long while at her; two big tears suddenly rolled from his eyes; one fell on the dog's brow, the other into the soup. He shaded his face with his hand. Mumu ate up half the plateful, and came away from it, licking her lips. Gerasim got up, paid for the soup, and went out, followed by the rather perplexed glances of the waiter. Eroshka, seeing Gerasim, hid round a corner, and letting him get in front, followed him again.

 

Gérasime, tenant toujours Moumou en laisse, avançait à pas lents. Arrivé au coin de la rue, il hésita un instant puis, hâtant soudain sa marche, il se dirigea tout droit vers le Gué de Crimée. Chemin faisant, il entra dans la cour d’une maison que l’on agrandissait et en ressortit avec deux briques sous son bras. Quand il eut atteint le gué, il suivit la berge de la rivière, jusqu’à uncertain endroit où il avait naguère remarqué deux barques munies de leurs avirons et amarrées à des poteaux. Il sauta dans l’une d’elles avec Moumou. Un vieux boiteux sortit d’une cabane élevée aucoin d’un potager et l’interpella à grands cris, aux quels Gérasimene répondit que par un hochement de tête. Bien qu’il eût à lutter contre le courant, il ramait si vigoureusement qu’il fut bientôt à une distance respectable du bonhomme, lequel, après s’être gratté le dos de la main gauche puis de la main droite, prit le parti de réintégrer en boitillant sa cahute.

Gerasim walked without haste, still holding Mumu by a string. When he got to the corner of the street, he stood still as though reflecting, and suddenly set off with rapid steps to the Crimean Ford. on the way he went into the yard of a house, where a lodge was being built, and carried away two bricks under his arm. At the Crimean Ford, he turned along the bank, went to a place where there were two little rowing-boats fastened to stakes (he had noticed them there before), and jumped into one of them with Mumu. A lame old man came out of a shed in the corner of a kitchen-garden and shouted after him; but Gerasim only nodded, and began rowing so vigorously, though against stream, that in an instant he had darted two hundred yards way. The old man stood for a while, scratched his back first with the left and then with the right hand, and went back hobbling to the shed.

 

Gérasime ramait toujours. Bientôt les dernières maisons de Moscou disparurent, cédant la place à des potagers, des champs, des prairies, des chaumières. Alors il laissa tomber ses avirons, pencha la tête sur Moumou qui s’était installée devant lui sur la banquette – car le fond était plein d’eau – et demeura un certain temps immobile, les bras croisés derrière le dos, tandis que le courant reportait peu à peu la barque en arrière. Soudain il se releva, les traits empreints d’une sauvagerie affectée, douloureuse, noua brusquement avec la laisse les deux briques qu’il avait apportées, les lia au cou de la chienne, la souleva au-dessus de la rivière, la contempla une dernière fois… Elle le regardait sans crainte aucune en agitant doucement la queue. Il détourna latête, ferma les yeux, ouvrit les mains…

Gerasim rowed on and on. Moscow was soon left behind. Meadows stretched each side of the bank, market gardens, fields, and copses; peasants' huts began to make their appearance. There was the fragrance of the country. He threw down his oars, bent his head down to Mumu, who was sitting facing him on a dry cross seat--the bottom of the boat was full of water--and stayed motionless, his mighty hands clasped upon her back, while the boat was gradually carried back by the current towards the town. At last Gerasim drew himself up hurriedly, with a sort of sick anger in his face, he tied up the bricks he had taken with string, made a running noose, put it round Mumu's neck, lifted her up over the river, and for the last time looked at her.... She watched him confidingly and without any fear, faintly wagging her tail. He turned away, frowned, and wrung his hands ...

 

Gérasime n’entendit rien : ni le court jappement de la pauvre Moumou ni le lourd clapotis de l’eau ; le jour le plus bruyant était pour lui plus silencieux que ne l’est pour nous la nuit la plus calme. Quand il rouvrit les yeux, la rivière roulait comme auparavant ses flots calmes, de petites vagues qui semblaient se poursuivre l’une l’autre venaient comme auparavant se briser contre les flancs de la barque ; mais, loin derrière lui, de grands cercles se dessinaient près du rivage.

Gerasim heard nothing, neither the quick shrill whine of Mumu as she fell, nor the heavy splash of the water; for him the noisiest day was soundless and silent as even the stillest night is not silent to us. When he opened his eyes again, little wavelets were hurrying over the river, chasing one another; as before they broke against the boat's side, and only far away behind wide circles moved widening to the bank.

 

Iérochka, qui avait perdu de vue Gérasime, rentra faire son rapport.

– Eh bien, déclara Stépane, il va la noyer pour sûr. Avec cet homme-là, voyez-vous, quand il a promis quelque chose, on peut dormir tranquille.

On ne revit pas Gérasime de la journée. Il ne parut ni au dîner ni au souper.

– Quel drôle de corps que ce Gérasime, glapit une grosse blanchisseuse. C’est y permis de se manger les sangs pour un chien !

– Mais il était là tantôt, s’écria Stépane en s’octroyant une large portion de sarrasin.

– Pas possible ! Quand cela ?

– Y a de ça une couple d’heures, je l’ai rencontré qui franchissait le portail. Il s’en allait de nouveau je sais pas où. L’envie me démangeait de savoir ce qu’il avait fait de son chien, mais le gars n’était pas de bonne humeur. Alors, voyez-vous, histoire de me dire comme ça : fiche-moi la paix, il m’a flan qué dans les omoplates une de ces torgnoles !… Il n’y va pas de main-morte, l’animal, ajouta Stépane avec un sourire contraint en se frottant la nuque.

On se moqua de Stépane et l’on s’en fut coucher.

Directly Gerasim had vanished from Eroshka's sight, the latter returned home and reported what he had seen.

"Well, then," observed Stepan, "he'll drown her. Now we can feel easy about it. If he once promises a thing ..."

No one saw Gerasim during the day. He did not have dinner at home. Evening came on; they were all gathered together to supper, except him.

"What a strange creature that Gerasim is!" piped a fat laundrymaid; "fancy, upsetting himself like that over a dog ... Upon my word!"

"But Gerasim has been here," Stepan cried all at once, scraping up his porridge with a spoon.

"How? when?"

"Why, a couple of hours ago. Yes, indeed! I ran against him at the gate; he was going out again from here; he was coming out of the yard. I tried to ask him about his dog, but he wasn't in the best of humors, I could see. Well, he gave me a shove; I suppose he only meant to put me out of his way, as if he'd say, 'Let me go, do!' but he fetched me such a crack on my neck, so seriously, that--oh! oh!" And Stepan, who could not help laughing, shrugged up and rubbed the back of his head. "Yes," he added; "he has got a fist; it's something like a fist, there's no denying that!"

They all laughed at Stepan, and after supper they separated to go to bed.

 

À cette même heure, sur la route de T***, cheminait à pas rapides une manière de géant, un sac sur l’épaule et un long bâtonà la main. C’était Gérasime. Résolument, sans un regard en arrière, il s’en allait vers sa terre natale. Après voir noyé la pauvre Moumou, il était accouru en grande hâte dans sa chambre, avait fait un paquet de ses quelques hardes, se l’était jeté sur l’épaule et…adieu, je t’ai vu ! Cinq ou six lieues seulement séparaient dela grande route le domaine d’où sa maîtresse l’avait fait venir ; sûr de retrouver son chemin, il marchait avec une ardeur farouche qui tenait autant de l’allégresse que du désespoir. La poitrine dilatée, le regard ardemment fixé sur lui, il pressait le pas comme si sa vieille mère l’attendait à son foyer, comme sie lle le rappelait près d’elle après des années de pérégrination. La nuit tombait, une nuit calme et tiède.

Meanwhile, at that very time, a gigantic figure with a bag on his shoulders and a stick in his hand, was eagerly and persistently stepping out along the T---high-road. It was Gerasim. He was hurrying on without looking round; hurrying homewards, to his own village, to his own country. After drowning poor Mumu, he had run back to his garret, hurriedly packed a few things together in an old horsecloth, tied it up in a bundle, tossed it on his shoulder, and so was ready. He had noticed the road carefully when he was brought to Moscow; the village his mistress had taken him from lay only about twenty miles off the high- road. He walked along it with a sort of invincible purpose, a desperate and at the same time joyous determination.

He walked, his shoulders thrown back and his chest expanded; his eyes were fixed greedily straight before him. He hastened as though his old mother were waiting for him at home, as though she were calling him to her after long wanderings in strange parts, among strangers.

 

À l’en droit où le soleil venait de se coucher, un dernier reflet empourprait le ciel blafard, mais à l’autre bout de l’horizon s’amoncelaient déjà de sombres grises. Les cailles cour caillaient par centaines, les râles de genêt s’appelaient sans répit. Gérasime ne pouvait les entendre, non plus que le murmure nocturne des arbres le long des quels l’emportaient ses jambes robustes, mais il reconnaissait l’arôme familier des blés qui mûrissaient dans les champs remplis d’ombre, il aspirait l’air vivace du sol natal qui, semblant venir à sa rencontre, lui caressait le visage, se jouait dans sa barbe et dans ses cheveux. Il voyait s’étendre devant lui, droite comme une flèche, la route blanchoyante, et resplendir au-dessus de sa tête les innombrables étoiles qui éclairaient sa marche. Il cheminait donc comme un lion vigoureux et hardi, et lorsque le soleil levant vint l’illuminer de ses rayons rougeâtres, trente-cinq verstessé paraient déjà de Moscou l’infatigable marcheur.

The summer night, that was just drawing in, was still and warm; on one side, where the sun had set, the horizon was still light and faintly flushed with, the last glow of the vanished day; on the other side a blue-gray twilight had already risen up. The night was coming up from that quarter. Quails were in hundreds around; corn crakes were calling to one another in the thickets.... Gerasim could not hear them; he could not hear the delicate night-whispering of the trees, by which his strong legs carried him, but he smelt the familiar scent of the ripening rye, which was wafted from the dark fields; he felt the wind, flying to meet him--the wind from home--beat caressingly upon his face, and play with his hair and his beard. He saw before him the whitening road homewards, straight as an arrow. He saw in the sky stars innumerable, lighting up his way, and stepped out, strong and bold as a lion, so that when the rising sun shed its moist rosy light upon the still fresh and unwearied traveller, already thirty miles lay between him and Moscow.

 

Deux jours plus tard, il rentrait dans sa cabane à l’ébahissement d’une femme de soldat qu’on y avait installée. Il se signa devant les saintes images, puis se rendit chez le staroste qui montra d’abord quelque surprise. Mais comme on était au temps de la fenaison, on lui donna une faux et Gérasime se remit de si bon cœur à l’ouvrage que ses compagnons demeuraient bouche bée devant ses coups de faux et de râteau.

In a couple of days he was at home, in his little hut, to the great astonishment of the soldier's wife who had been put in there. After praying before the holy pictures, he set off at once to the village elder. The village elder was at first surprised; but the hay-cutting had just begun; Gerasim was a first-rate mower, and they put a scythe into his hand on the spot, and he went to mow in his old way, mowing so that the peasants were fairly astounded as they watched his wide sweeping strokes and the heaps he raked together....

 

Cependant à Moscou, dès le lendemain de son départ, les domestiques, intrigués se risquèrent dans sa chambre et la trouvant vide, crurent bon de prévenir Gavril. Celui-ci vint inspecter les lieux, haussa les épaules et décida que le muet avait pris la fuite ou qu’il était allé rejoindre sa sotte de chienne dans la rivière. Il fit prévenir la police de cette disparition et s’en alla en personne l’annoncer à sa maîtresse. La vieille dame se lamenta, prétendit qu’elle n’avait jamais entendu faire périr Moumou, ordonna de rechercher Gérasime coûte que coûte et lava si bien la tête à l’infortuné majordome que toute la journée celui-ci s’en alla branlant le chef et murmurant : « Eh bien !… Eh bien !… » Le père La Queue finit par le tranquilliser en lui ripostant : « Eh bien, quoi ? »

In Moscow the day after Gerasim's flight they missed him. They went to his garret, rummaged about in it, and spoke to Gavrila. He came, looked, shrugged his shoulders, and decided that the dumb man had either run away or had drowned himself with his stupid dog. They gave information to the police, and informed the lady. The old lady was furious, burst into tears, gave orders that he was to be found whatever happened, declared she had never ordered the dog to be destroyed, and, in fact, gave Gavrila such a rating that he could do nothing all day but shake his head and murmur, "Well!" until Uncle Tail checked him at last, sympathetically echoing "We-ell!"

 

Enfin on apprit par un rapport du staroste que le muet était rentré dans son village. Cette nouvelle apaisa quelque peu le courroux de la vieille dame ; sa première idée fut de faire revenir Gérasime, mais après réflexion elle déclara qu’elle n’avait nul besoin d’un pareil ingrat. Au reste, comme elle vint à mourir peu de temps après cet événement, ses héritiers se soucièrent fort peu du muet ; ils accordèrent même à tous les serfs domestiques un congé à redevance.

At last the news came from the country of Gerasim's being there. The old lady was somewhat pacified; at first she issued a mandate for him to be brought back without delay to Moscow; afterwards, however, she declared that such an ungrateful creature was absolutely of no use to her. Soon after this she died herself; and her heirs had no thought to spare for Gerasim; they let their mother's other servants redeem their freedom on payment of an annual rent.

 

Ce pauvre diable de Gérasime vit encore dans sa cabane solitaire. C’est toujours le même homme, robuste, infatigable, grave et pondéré. Seulement ses voisins ont remarqué que depuis son retour il ne lève les yeux sur aucune femme et ne peut souffrir aucun chien près de lui. « C’est un bonheur pour ce gars-là, disent nos paysans, qu’il n’ait pas besoin des personnes du sexe. Et quant à un chien, qu’est-ce qu’il en ferait ? pour tout l’or du monde jamais voleur n’oserait franchir son enclos ! » Comme on le voit, la vigueur peu commune du muet est en passe de devenir légendaire.

And Gerasim is living still, a lonely man in his lonely hut; he is strong and healthy as before, and does the work of four men as before, and as before is serious and steady. But his neighbors have observed that ever since his return from Moscow he has quite given up the society of women; he will not even look at them, and does not keep even a single dog.

"It's his good luck, though," the peasants reason, "that he can get on without female folk; and as for a dog--what need has he of a dog? you wouldn't get a thief to go into his yard for any money!" Such is the fame of the dumb man's Titanic strength.

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