Александр Сергеевич Пушкин (1799-1837), Пиковая дама 1833
Alexandre Pouchkine / Aleksandr Sergeevich Pushkin, La Dame de pique / The Queen of Spades
I
On jouait chez Naroumof, lieutenant aux gardes à cheval.
Une longue nuit d’hiver s’était écoulée sans que personne s’en aperçût, et il était cinq heures du matin quand on servit le souper.
Les gagnants se mirent à table avec grand appétit ; pour les autres ils regardaient leurs assiettes vides.
Peu à peu néanmoins, le vin de Champagne aidant, la conversation s’anima et devint générale.
There was a card party at the rooms of Narumov of the Horse Guards.
The long winter night passed away imperceptibly, and it was five o'clock in the morning before the company sat down to supper.
Those who had won, ate with a good appetite; the others sat staring absently at their empty plates.
When the champagne appeared, however, the conversation became more animated, and all took a part in it.
« Qu’as-tu fait aujourd’hui, Sourine ? demanda le maître de la maison à un de ses camarades.
– Comme toujours, j’ai perdu. En vérité, je n’ai pas de chance. Je joue la mirandole ; vous savez si j’ai du sang-froid.
Je suis un ponte impassible, jamais je ne change mon jeu, et je perds toujours !
– Comment ! Dans toute ta soirée, tu n’as pas essayé une fois de mettre sur le rouge ? En vérité ta fermeté me passe.
– Comment trouvez-vous Hermann ? dit un des convives en montrant un jeune officier du génie.
De sa vie, ce garçon-là n’a fait un paroli ni touché une carte, et il nous regarde jouer jusqu’à cinq heures du matin.
"And how did you fare, Surin?" asked the host.
"Oh, I lost, as usual. I must confess that I am unlucky: I play mirandole, I always keep cool,
I never allow anything to put me out, and yet I always lose!"
"And you did not once allow yourself to be tempted to back the red?... Your firmness astonishes me."
"But what do you think of Hermann?" said one of the guests, pointing to a young Engineer:
"he has never had a card in his hand in his life, he has never in, his life laid a wager, and yet he sits here till five o'clock in the morning watching our play."
– Le jeu m’intéresse, dit Hermann, mais je ne suis pas d’humeur à risquer le nécessaire pour gagner le superflu.
– Hermann est Allemand ; il est économe, voilà tout, s’écria Tomski ;
mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est ma grand-mère, la comtesse Anna Fedotovna.
– Pourquoi cela ? lui demandèrent ses amis.
– N’avez-vous pas remarqué, reprit Tomski, qu’elle ne joue jamais ?
– En effet, dit Naroumof, une femme de quatre-vingts ans qui ne ponte pas, cela est extraordinaire.
– Vous ne savez pas le pourquoi ?
– Non. Est-ce qu’il y a une raison ?
"Play interests me very much," said Hermann: "but I hardly care to sacrifice the necessaries of life for uncertain superfluities."
"Hermann is a German: he is economical--that is all!" observed Tomsky.
"But if there is one person that I cannot understand, it is my grandmother, the Countess Anna Fedotovna."
"How so?" inquired the guests.
"I cannot understand," continued Tomsky, "how it is that my grandmother does not punt."
"What is there remarkable about an old lady of eighty not punting?" said Narumov.
"Then you do not know the reason why?"
"No, really; haven't the faintest idea."
– Oh ! bien, écoutez. Vous saurez que ma grand-mère, il y a quelque soixante ans, alla à Paris et y fit fureur.
On courait après elle pour voir la Vénus moscovite* .
Richelieu lui fit la cour, et ma grand-mère prétend qu’il s’en fallut peu qu’elle ne l’obligeât par ses rigueurs à se brûler la cervelle.
Dans ce temps-là, les femmes jouaient au pharaon.
Un soir, au jeu de la cour, elle perdit sur parole, contre le duc d’Orléans, une somme très considérable.
"Oh! then listen. About sixty years ago, my grandmother went to Paris, where she created quite a sensation.
People used to run after her to catch a glimpse of the 'Muscovite Venus.'
Richelieu made love to her, and my grandmother maintains that he almost blew out his brains in consequence of her cruelty.
At that time ladies used to play at faro.
On one occasion at the Court, she lost a very considerable sum to the Duke of Orleans.
Rentrée chez elle, ma grand-mère ôta ses mouches, défit ses paniers, et dans ce costume tragique alla conter sa mésaventure à mon grand-père, en lui demandant de l’argent pour s’acquitter.
Feu mon grand-père était une espèce d’intendant pour sa femme.
Il la craignait comme le feu, mais le chiffre qu’on lui avoua le fit sauter au plancher ;
il s’emporta, se mit à faire ses comptes, et prouva à ma grandmère qu’en six mois elle avait dépensé un demimillion.
Il lui dit nettement qu’il n’avait pas à Paris ses villages des gouvernements de Moskou et de Saratef, et conclut en refusant les subsides demandés.
Vous imaginez bien la fureur de ma grand-mère.
Elle lui donna un soufflet et fit lit à part cette nuit-là en témoignage de son indignation.
On returning home, my grandmother removed the patches from her face, took off her hoops, informed my grandfather of her loss at the gaming-table, and ordered him to pay the money.
My deceased grandfather, as far as I remember, was a sort of house-steward to my grandmother.
He dreaded her like fire; but, on hearing of such a heavy loss, he almost went out of his mind;
he calculated the various sums she had lost, and pointed out to her that in six months she had spent half a million francs, that neither their Moscow nor Saratov estates were in Paris, and finally refused point blank to pay the debt.
My grandmother gave him a box on the ear and slept by herself as a sign of her displeasure.
Le lendemain elle revint à la charge.
Pour la première fois de sa vie elle voulut bien condescendre à des raisonnements et des explications.
C’est en vain qu’elle s’efforça de démontrer à son mari qu’il y a dettes et dettes, et qu’il n’y a pas d’apparence d’en user avec un prince comme avec un carrossier.
Toute cette éloquence fut en pure perte, mon grand-père était inflexible.
Ma grand-mère ne savait que devenir.
The next day she sent for her husband, hoping that this domestic punishment had produced an effect upon him, but she found him inflexible.
For the first time in her life, she entered into reasonings and explanations with him, thinking to be able to convince him by pointing out to him that there are debts and debts, and that there is a great difference between a Prince and a coachmaker.
But it was all in vain, my grandfather still remained obdurate.
But the matter did not rest there. My grandmother did not know what to do.
Heureusement, elle connaissait un homme fort célèbre à cette époque.
Vous avez entendu parler du comte de Saint-Germain, dont on débite tant de merveilles.
Vous savez qu’il se donnait pour une manière de Juif errant, possesseur de l’élixir de vie et de la pierre philosophale.
Quelques-uns se moquaient de lui comme d’un charlatan. Casanova, dans ses Mémoires, dit qu’il était espion.
Quoi qu’il en soit, malgré le mystère de sa vie, Saint-Germain était recherché par la bonne compagnie et était vraiment un homme aimable.
Encore aujourd’hui ma grand-mère a conservé pour lui une affection très vive, et elle se fâche tout rouge quand on n’en parle pas avec respect.
Finally, she remembered a friend of hers, Count Saint-Germain.
She had shortly before become acquainted with a very remarkable man.
You have heard of Count St. Germain, about whom so many marvellous stories are told.
You know that he represented himself as the Wandering Jew, as the discoverer of the elixir of life, of the philosopher's stone, and so forth.
Some laughed at him as a charlatan; but Casanova, in his memoirs, says that he was a spy.
But be that as it may, St. Germain, in spite of the mystery surrounding him, was a very fascinating person, and was much sought after in the best circles of society.
Even to this day my grandmother retains an affectionate recollection of him, and becomes quite angry if any one speaks disrespectfully of him.
Elle pensa qu’il pourrait lui avancer la somme dont elle avait besoin, et lui écrivit un billet pour le prier de passer chez elle.
Le vieux thaumaturge accourut aussitôt et la trouva plongée dans le désespoir.
En deux mots, elle le mit au fait, lui raconta son malheur et la cruauté de son mari, ajoutant qu’elle n’avait plus d’espoir que dans son amitié et son obligeance.
My grandmother knew that St. Germain had large sums of money at his disposal.
She resolved to have recourse to him, and she wrote a letter to him asking him to come to her without delay.
The queer old man immediately waited upon her and found her overwhelmed with grief.
She described to him in the blackest colours the barbarity of her husband, and ended by declaring that her whole hope depended upon his friendship and amiability.
Saint-Germain, après quelques instants de réflexion :
“Madame, dit-il, je pourrais facilement vous avancer l’argent qu’il vous faut ;
mais je sais que vous n’auriez de repos qu’après me l’avoir remboursé,
et je ne veux pas que vous sortiez d’un embarras pour vous jeter dans un autre.
Il y a un moyen de vous acquitter. Il faut que vous regagniez cet argent...
– Mais, mon cher comte, répondit ma grandmère, je vous l’ai déjà dit, je n’ai plus une pistole...
– Vous n’en avez pas besoin, reprit Saint-
Germain : écoutez-moi seulement.”
Alors il lui apprit un secret que chacun de vous, j’en suis sûr, payerait fort cher. »
"St. Germain reflected.
"'I could advance you the sum you want,' said he; 'but I know that you would not rest easy until you had paid me back, and I should not like to bring fresh troubles upon you. But there is another way of getting out of your difficulty: you can win back your money.'
"'But, my dear Count,' replied my grandmother, 'I tell you that I haven't any money left.'
"'Money is not necessary,' replied St. Germain: 'be pleased to listen to me.'
"Then he revealed to her a secret, for which each of us would give a good deal..."
Tous les jeunes officiers étaient attentifs.
Tomski s’arrêta pour allumer une pipe, avala une bouffée de tabac et continua de la sorte :
« Le soir même, ma grand-mère alla à Versailles au Jeu de la reine*.
Le duc d’Orléans tenait la banque. Ma grand-mère lui débita une petite histoire pour s’excuser de n’avoir pas encore acquitté sa dette, puis elle s’assit et se mit à ponter.
Elle prit trois cartes : la première gagna ; elle doubla son enjeu sur la seconde, gagna encore, doubla sur la troisième ; bref, elle s’acquitta glorieusement.
– Pur hasard ! dit un des jeunes officiers.
– Quel conte ! s’écria Hermann.
– C’était donc des cartes préparées ? dit un troisième.
The young officers listened with increased attention.
Tomsky lit his pipe, puffed away for a moment and then continued:
"That same evening my grandmother went to Versailles to the jeu de la reine.
The Duke of Orleans kept the bank; my grandmother excused herself in an off-hand manner for not having yet paid her debt, by inventing some little story, and then began to play against him.
She chose three cards and played them one after the other: all three won sonika,
[Said of a card when it wins or loses in the quickest possible time.]
and my grandmother recovered every farthing that she had lost."
"Mere chance!" said one of the guests.
"A tale!" observed Hermann.
"Perhaps they were marked cards!" said a third.
– Je ne le crois pas, répondit gravement Tomski.
– Comment ! s’écria Naroumof, tu as une grand-mère qui sait trois cartes gagnantes,
et tu n’as pas encore su te les faire indiquer ?
"I do not think so," replied Tomsky gravely.
"What!" said Narumov, "you have a grandmother who knows how to hit upon three lucky cards in succession,
and you have never yet succeeded in getting the secret of it out of her?"
– Ah ! c’est là le diable ! reprit Tomski.
Elle avait quatre fils, dont mon père était un.
Trois furent des joueurs déterminés, et pas un seul n’a pu lui tirer son secret, qui pourtant leur aurait fait grand bien et à moi aussi.
Mais écoutez ce que m’a raconté mon oncle, le comte Ivan Ilitch, et j’ai sa parole d’honneur.
Tchaplitzki – vous savez, celui qui est mort dans la misère après avoir mangé des millions –, un jour, dans sa jeunesse, perdit contre Zoritch environ trois cent mille roubles.
Il était au désespoir. Ma grandmère, qui n’était guère indulgente pour les fredaines des jeunes gens, je ne sais pourquoi, faisait exception à ses habitudes en faveur de Tchaplitzki : elle lui donna trois cartes à jouer l’une après l’autre, en exigeant sa parole de ne plus jouer ensuite de sa vie.
"That's the deuce of it!" replied Tomsky: "she had four sons, one of whom was my father; all four were determined gamblers, and yet not to one of them did she ever reveal her secret, although it would not have been a bad thing either for them or for me.
But this is what I heard from my uncle, Count Ivan Ilyich, and he assured me, on his honour, that it was true.
The late Chaplitzky--the same who died in poverty after having squandered millions--once lost, in his youth, about three hundred thousand roubles--to Zorich, if I remember rightly.
He was in despair. My grandmother, who was always very severe upon the extravagance of young men, took pity, however, upon Chaplitzky. She gave him three cards, telling him to play them one after the other, at the same time exacting from him a solemn promise that he would never play at cards again as long as he lived.
Aussitôt Tchaplitzki alla trouver Zoritch et lui demanda sa revanche.
Sur la première carte, il mit cinquante mille roubles. Il gagna, fit paroli ; en fin de compte, avec ses trois cartes, il s’acquitta et se trouva même en gain...
Mais voilà six heures ! Ma foi, il est temps d’aller se coucher. »
Chacun vida son verre, et l’on se sépara.
Chaplitzky then went to his victorious opponent, and they began a fresh game.
On the first card he staked fifty thousand rubles and won sonika; he doubled the stake and won again, till at last, by pursuing the same tactics, he won back more than he had lost ...
"But it is time to go to bed: it is a quarter to six already."
And indeed it was already beginning to dawn: the young men emptied their glasses and then took leave of each other.
II
La vieille comtesse Anna Fedotovna était dans son cabinet de toilette, assise devant une glace.
Trois femmes de chambre l’entouraient : l’une lui présentait un pot de rouge, une autre une boîte d’épingles noires ; une troisième tenait un énorme bonnet de dentelles avec des rubans couleur de feu.
La comtesse n’avait plus la moindre prétention à la beauté ; mais elle conservait les habitudes de sa jeunesse, s’habillait à la mode d’il y a cinquante ans, et mettait à sa toilette tout le temps et toute la pompe d’une petite maîtresse du siècle passé.
Sa demoiselle de compagnie travaillait à un métier dans l’embrasure de la fenêtre.
The old Countess A---- was seated in her dressing-room in front of her looking--glass.
Three waiting maids stood around her. one held a small pot of rouge, another a box of hair-pins, and the third a tall can with bright red ribbons.
The Countess had no longer the slightest pretensions to beauty, but she still preserved the habits of her youth, dressed in strict accordance with the fashion of seventy years before, and made as long and as careful a toilette as she would have done sixty years previously.
Near the window, at an embroidery frame, sat a young lady, her ward.
« Bonjour, grand-maman*, dit un jeune officier en entrant dans le cabinet ;
bonjour mademoiselle Lise. Grand-maman*, c’est une requête que je viens vous porter.
– Qu’est-ce que c’est, Paul ?
– Permettez-moi de vous présenter un de mes amis, et de vous demander pour lui une invitation à votre bal.
– Amène-le à mon bal, et tu me le présenteras là. As-tu été hier chez la princesse *** ?
– Assurément ; c’était délicieux ! on a dansé jusqu’à cinq heures. Mademoiselle Eletzki était à ravir.
– Ma foi, mon cher, tu n’es pas difficile.
En fait de beauté, c’est sa grand-mère la princesse Daria Petrovna qu’il fallait voir !
Mais, dis donc, elle doit être bien vieille, la princesse Daria Petrovna ?
"Good morning, grandmamma," said a young officer, entering the room.
"Bonjour, Mademoiselle Lise. Grandmamma, I want to ask you something."
"What is it, Paul?"
"I want you to let me introduce one of my friends to you, and to allow me to bring him to the ball on Friday."
"Bring him direct to the ball and introduce him to me there. Were you at B----'s yesterday?"
"Yes; everything went off very pleasantly, and dancing was kept up until five o'clock. How charming Yeletzkaya was!"
"But, my dear, what is there charming about her? Isn't she like her grandmother, the Princess Daria Petrovna?
By the way, she must be very old, the Princess Daria Petrovna."
– Comment, vieille ! s’écria étourdiment Tomski, il y a sept ans qu’elle est morte ! »
La demoiselle de compagnie leva la tête et fit un signe au jeune officier.
Il se rappela aussitôt que la consigne était de cacher à la comtesse la mort de ses contemporains.
Il se mordit la langue ; mais d’ailleurs la comtesse garda le plus beau sang-froid en apprenant que sa vieille amie n’était plus de ce monde.
« Morte ? dit-elle ; tiens, je ne le savais pas.
Nous avons été nommées ensemble demoiselles d’honneur, et quand nous fûmes présentées, l’impératrice... »
La vieille comtesse raconta pour la centième fois une anecdote de ses jeunes années.
« Paul, dit-elle en finissant, aide-moi à me lever. Lisanka, où est ma tabatière ? »
Et, suivie de ses trois femmes de chambre, elle passa derrière un grand paravent pour achever sa toilette.
"How do you mean, old?" cried Tomsky thoughtlessly; "she died seven years ago."
The young lady raised her head and made a sign to the young officer.
He then remembered that the old Countess was never to be informed of the death of any of her contemporaries, and he bit his lips. But the old Countess heard the news with the greatest indifference.
"Dead!" said she; "and I did not know it.
We were appointed maids of honour at the same time, and when we were presented to the Empress..."
And the Countess for the hundredth time related to her grandson one of her anecdotes.
"Come, Paul," said she, when she had finished her story, "help me to get up. Lizanka, where is my snuff-box?"
And the Countess with her three maids went behind a screen to finish her toilette.
Tomski demeurait en tête à tête avec la demoiselle de compagnie.
« Quel est ce monsieur que vous voulez présenter à madame ? demanda à voix basse Lisabeta Ivanovna.
– Naroumof. Vous le connaissez ?
– Non. Est-il militaire ?
– Oui.
– Dans le génie ?
– Non, dans les chevaliers-gardes. Pourquoi donc croyiez-vous qu’il était dans le génie ? »
La demoiselle de compagnie sourit, mais ne répondit pas.
Tomsky was left alone with the young lady.
"Who is the gentleman you wish to introduce to the Countess?" asked Lizaveta Ivanovna in a whisper.
"Narumov. Do you know him?"
"No. Is he a soldier or a civilian?"
"A soldier."
"Is he in the Engineers?"
"No, in the Cavalry. What made you think that he was in the Engineers?"
The young lady smiled, but made no reply.
« Paul ! cria la comtesse de derrière son paravent, envoie-moi un roman nouveau, n’importe quoi ;
seulement, vois-tu, pas dans le goût d’aujourd’hui.
– Comment vous le faut-il, grand-maman* ?
– Un roman où le héros n’étrangle ni père ni mère, et où il n’y ait pas de noyés.
Rien ne me fait plus de peur que les noyés.
– Où trouver à présent un roman de cette espèce ? En voudriez-vous un russe ?
– Bah ! est-ce qu’il y a des romans russes ? Tu m’en enverras un ; n’est-ce pas, tu ne l’oublieras pas ?
– Je n’y manquerai pas. Adieu, grandmaman*, je suis bien pressé.
Adieu, Lisabeta Ivanovna. Pourquoi donc vouliez-vous que Naroumof fût dans le génie ? »
Et Tomski sortit du cabinet de toilette.
"Paul," cried the Countess from behind the screen, "send me some new novel,
only pray don't let it be one of the present day style."
"What do you mean, grandmother?"
"That is, a novel, in which the hero strangles neither his father nor his mother, and in which there are no drowned bodies. I have a great horror of drowned persons."
"There are no such novels nowadays. Would you like a Russian one?"
"Are there any Russian novels? Send me one, my dear, pray send me one!"
"Good-bye, grandmother: I am in a hurry... Good-bye, Lizaveta Ivanovna. What made you think that Narumov was in the Engineers?"
And Tomsky left the boudoir.
Lisabeta Ivanovna, restée seule, reprit sa tapisserie et s’assit dans l’embrasure de la fenêtre.
Aussitôt, dans la rue, à l’angle d’une maison voisine, parut un jeune officier.
Sa présence fit aussitôt rougir jusqu’aux oreilles la demoiselle de compagnie ;
elle baissa la tête et la cacha presque sous son canevas.
En ce moment, la comtesse rentra, complètement habillée.
« Lisanka, dit-elle, fais atteler ; nous allons faire un tour de promenade. »
Lisabeta se leva aussitôt et se mit à ranger sa tapisserie.
« Eh bien, qu’est-ce que c’est ? Petite, es-tu sourde ? Va dire qu’on attelle tout de suite.
– J’y vais », répondit la demoiselle de compagnie.
Et elle courut dans l’antichambre.
Lizaveta Ivanovna was left alone: she laid aside her work and began to look out of the window.
A few moments afterwards, at a corner house on the other side of the street, a young officer appeared.
A deep blush covered her cheeks; she took up her work again and bent her head down over the frame.
At the same moment the Countess returned completely dressed.
"Order the carriage, Lizaveta," said she; "we will go out for a drive."
Lizaveta arose from the frame and began to arrange her work.
"What is the matter with you, my child, are you deaf?" cried the Countess.
"Order the carriage to be got ready at once."
"I will do so this moment," replied the young lady, hastening into the ante-room.
Un domestique entra, apportant des livres de la part du prince Paul Alexandrovitch.
« Bien des remerciements. – Lisanka ! Lisanka ! Où court-elle comme cela ?
– J’allais m’habiller, madame.
– Nous avons le temps, petite. Assieds-toi, prends le premier volume, et lis-moi. »
La demoiselle de compagnie prit le livre et lut quelques lignes.
« Plus haut ! dit la comtesse. Qu’as-tu donc ? Est-ce que tu es enrouée ?
Attends, approche-moi ce tabouret... Plus près... Bon. »
Lisabeta Ivanovna lut encore deux pages ; la comtesse bâilla.
« Jette cet ennuyeux livre, dit-elle ; quel fatras !
Renvoie cela au prince Paul, et fais-lui bien mes remerciements...
Et cette voiture, est-ce qu’elle ne viendra pas ?
– La voici, répondit Lisabeta Ivanovna, en regardant par la fenêtre.
– Eh bien, tu n’es pas habillée ? Il faut donc toujours t’attendre ! C’est insupportable. »
A servant entered and gave the Countess some books from Prince Paul Aleksandrovich.
"Tell him that I am much obliged to him," said the Countess. "Lizaveta! Lizaveta! Where are you running to?"
"I am going to dress."
"There is plenty of time, my dear. Sit down here. Open the first volume and read to me aloud."
Her companion took the book and read a few lines.
"Louder," said the Countess. "What is the matter with you, my child? Have you lost your voice?
Wait--give me that footstool--a little nearer--that will do."
Lizaveta read two more pages. The Countess yawned.
"Put the book down," said she: "what a lot of nonsense! Send it back to Prince Paul with my thanks...
But where is the carriage?"
"The carriage is ready," said Lizaveta, looking out into the street.
"How is it that you are not dressed?" said the Countess: "I must always wait for you. It is intolerable, my dear!"
Lisabeta courut à sa chambre.
Elle y était depuis deux minutes à peine, que la comtesse sonnait de toute sa force ;
ses trois femmes de chambre entraient par une porte et le valet de chambre par une autre.
« on ne m’entend donc pas, à ce qu’il paraît ! s’écria la comtesse.
Qu’on aille dire à Lisabeta Ivanovna que je l’attends. »
Liza hastened to her room.
She had not been there two minutes, before the Countess began to ring with all her might.
The three waiting-maids came running in at one door and the valet at another.
"How is it that you cannot hear me when I ring for you?" said the Countess.
"Tell Lizaveta Ivanovna that I am waiting for her."
Elle entrait en ce moment avec une robe de promenade et un chapeau.
« Enfin, mademoiselle ! dit la comtesse.
Mais quelle toilette est-ce là ! Pourquoi cela ? À qui en veux-tu ?
Voyons quel temps fait-il ? Il fait du vent, je crois.
– Non, Excellence, dit le valet de chambre. Au contraire, il fait bien doux.
– Vous ne savez jamais ce que vous dites. Ouvrez-moi le vasistas. Je le disais bien...
Un vent affreux ! un froid glacial ! Qu’on dételle !
Lisanka, ma petite, nous ne sortirons pas. Ce n’était pas la peine de te faire si belle. »
« Quelle existence ! » se dit tout bas la demoiselle de compagnie.
Lizaveta returned with her hat and cloak on.
"At last you are here!" said the Countess.
"But why such an elaborate toilette? Whom do you intend to captivate?
What sort of weather is it? It seems rather windy."
"No, your Ladyship, it is very calm," replied the valet.
"You never think of what you are talking about. Open the window. So it is: windy and bitterly cold.
Unharness the horses. Lizaveta, we won't go out--there was no need for you to deck yourself like that."
"What a life is mine!" thought Lizaveta Ivanovna.
En effet, Lisabeta Ivanovna était une bien malheureuse créature.
« Il est amer, le pain de l’étranger, dit Dante ; elle est haute à franchir, la pierre de son seuil. »
Mais qui pourrait dire les ennuis d’une pauvre demoiselle de compagnie auprès d’une vieille femme de qualité ?
Pourtant la comtesse n’était pas méchante, mais elle avait tous les caprices d’une femme gâtée par le monde.
Elle était avare, personnelle, égoïste, comme celle qui depuis longtemps avait cessé de jouer un rôle actif dans la société.
And, in truth, Lizaveta Ivanovna was a very unfortunate creature.
"The bread of the stranger is bitter," says Dante, "and his staircase hard to climb."
But who can know what the bitterness of dependence is so well as the poor companion of an old lady of quality?
The Countess A---- had by no means a bad heart, but she was capricious, like a woman who had been spoilt by the world, as well as being avaricious and egotistical, like all old people who have seen their best days, and whose thoughts are with the past and not the present.
Jamais elle ne manquait au bal ; et là, fardée, vêtue à la mode antique, elle se tenait dans un coin et semblait placée exprès pour servir d’épouvantail.
Chacun, en entrant, allait lui faire un profond salut ; mais, la cérémonie terminée, personne ne lui adressait plus la parole.
Elle recevait chez elle toute la ville, observant l’étiquette dans sa rigueur et ne pouvant mettre les noms sur les figures.
Ses nombreux domestiques, engraissés et blanchis dans son antichambre, ne faisaient que ce qu’ils voulaient, et cependant tout chez elle était au pillage, comme si déjà la mort fût entrée dans sa maison.
She participated in all the vanities of the great world, went to balls, where she sat in a corner, painted and dressed in old-fashioned style, like a deformed but indispensable ornament of the ball-room; all the guests on entering approached her and made a profound bow, as if in accordance with a set ceremony, but after that nobody took any further notice of her.
She received the whole town at her house, and observed the strictest etiquette, although she could no longer recognise the faces of people.
Her numerous domestics, growing fat and old in her ante-chamber and servants' hall, did just as they liked, and vied with each other in robbing the aged Countess in the most bare-faced manner.
Lisabeta Ivanovna passait sa vie dans un supplice continuel. Elle servait le thé, et on lui reprochait le sucre gaspillé.
Elle lisait des romans à la comtesse, qui la rendait responsable de toutes les sottises des auteurs. Elle accompagnait la noble dame dans ses promenades, et c’était à elle qu’on s’en prenait du mauvais pavé et du mauvais temps.
Ses appointements, plus que modestes, n’étaient jamais régulièrement payés, et l’on exigeait qu’elle s’habillât comme tout le monde, c’est-à-dire comme fort peu de gens.
Dans la société son rôle était aussi triste.
Tous la connaissaient, personne ne la distinguait.
Lizaveta Ivanovna was the martyr of the household. She made tea, and was reproached with using too much sugar; she read novels aloud to the Countess, and the faults of the author were visited upon her head; she accompanied the Countess in her walks, and was held answerable for the weather or the state of the pavement.
A salary was attached to the post, but she very rarely received it, although she was expected to dress like everybody else, that is to say, like very few indeed.
In society she played the most pitiable role. Everybody knew her, and nobody paid her any attention.
Au bal, elle dansait, mais seulement lorsqu’on avait besoin d’un vis-à-vis.
Les femmes venaient la prendre par la main et l’emmenaient hors du salon quand il fallait arranger quelque chose à leur toilette.
Elle avait de l’amour-propre et sentait profondément la misère de sa position. Elle attendait avec impatience un libérateur pour briser ses chaînes ; mais les jeunes gens, prudents au milieu de leur étourderie affectée, se gardaient bien de l’honorer de leurs attentions, et cependant Lisabeta Ivanovna était cent fois plus jolie que ces demoiselles ou effrontées ou stupides qu’ils entouraient de leurs hommages.
Plus d’une fois, quittant le luxe et l’ennui du salon, elle allait s’enfermer seule dans sa petite chambre meublée d’un vieux paravent, d’un tapis rapiécé, d’une commode, d’un petit miroir et d’un lit en bois peint ; là, elle pleurait tout à son aise, à la lueur d’une chandelle de suif dans un chandelier en laiton.
At balls she danced only when a partner was wanted, and ladies would only take hold of her arm when it was necessary to lead her out of the room to attend to their dresses.
She was very self-conscious, and felt her position keenly, and she looked about her with impatience for a deliverer to come to her rescue; but the young men, calculating in their giddiness, honoured her with but very little attention, although Lizaveta Ivanovna was a hundred times prettier than the bare-faced and cold-hearted marriageable girls around whom they hovered.
Many a time did she quietly slink away from the glittering but wearisome drawing-room, to go and cry in her own poor little room, in which stood a screen, a chest of drawers, a looking-glass and a painted bedstead, and where a tallow candle burnt feebly in a copper candle-stick.
Une fois, c’était deux jours après la soirée chez Naroumof et une semaine avant la scène que nous venons d’esquisser, un matin, Lisabeta était assise à son métier devant la fenêtre, quand, promenant un regard distrait dans la rue, elle aperçut un officier du génie, immobile, les yeux fixés sur elle.
Elle baissa la tête et se mit à son travail avec un redoublement d’application.
Au bout de cinq minutes, elle regarda machinalement dans la rue, l’officier était à la même place.
N’ayant pas l’habitude de coqueter avec les jeunes gens qui passaient sous ses fenêtres, elle demeura les yeux fixés sur son métier pendant près de deux heures, jusqu’à ce que l’on vînt l’avertir pour dîner.
Alors il fallut se lever et ranger ses affaires, et pendant ce mouvement elle revit l’officier à la même place.
Cela lui sembla fort étrange.
Après le dîner, elle s’approcha de la fenêtre avec une certaine émotion, mais l’officier du génie n’était plus dans la rue.
Elle cessa d’y penser.
One morning--this was about two days after the evening party described at the beginning of this story, and a week previous to the scene at which we have just assisted--Lizaveta Ivanovna was seated near the window at her embroidery frame, when, happening to look out into the street, she caught sight of a young Engineer officer, standing motionless with his eyes fixed upon her window.
She lowered her head and went on again with her work.
About five minutes afterwards she looked out again--the young officer was still standing in the same place.
Not being in the habit of coquetting with passing officers, she did not continue to gaze out into the street, but went on sewing for a couple of hours, without raising her head. Dinner was announced. She rose up and began to put her embroidery away, but glancing casually out of the window, she perceived the officer again.
This seemed to her very strange. After dinner she went to the window with a certain feeling of uneasiness, but the officer was no longer there--and she thought no more about him.
Deux jours après, sur le point de monter en voiture avec la comtesse, elle le revit planté droit devant la porte, la figure à demi cachée par un collet de fourrure, mais ses yeux noirs étincelaient sous son chapeau.
Lisabeta eut peur sans trop savoir pourquoi, et s’assit en tremblant dans la voiture.
De retour à la maison, elle courut à la fenêtre avec un battement de cœur ; l’officier était à sa place habituelle, fixant sur elle un regard ardent.
Aussitôt elle se retira, mais brûlante de curiosité et en proie à un sentiment étrange qu’elle éprouvait pour la première fois.
A couple of days afterwards, just as she was stepping into the carriage with the Countess, she saw him again. He was standing close behind the door, with his face half-concealed by his fur collar, but his dark eyes sparkled beneath his cap.
Lizaveta felt alarmed, though she knew not why, and she trembled as she seated herself in the carriage.
On returning home, she hastened to the window--the officer was standing in his accustomed place, with his eyes fixed upon her.
She drew back, a prey to curiosity and agitated by a feeling which was quite new to her.
Depuis lors, il ne se passa pas de jour que le jeune ingénieur ne vînt rôder sous sa fenêtre.
Bientôt, entre elle et lui s’établit une connaissance muette.
Assise à son métier, elle avait le sentiment de sa présence ; elle relevait la tête, et chaque jour le regardait plus longtemps.
Le jeune homme semblait plein de reconnaissance pour cette innocente faveur : elle voyait avec ce regard profond et rapide de la jeunesse qu’une vive rougeur couvrait les joues pâles de l’officier, chaque fois que leurs yeux se rencontraient.
Au bout d’une semaine, elle se prit à lui sourire.
From that time forward not a day passed without the young officer making his appearance under the window at the customary hour, and between him and her there was established a sort of mute acquaintance.
Sitting in her place at work, she used to feel his approach; and raising her head, she would look at him longer and longer each day.
The young man seemed to be very grateful to her: she saw with the sharp eye of youth, how a sudden flush covered his pale cheeks each time that their glances met.
After about a week she commenced to smile at him...
Lorsque Tomski demanda à sa grand-mère la permission de lui présenter un de ses amis, le cœur de la pauvre fille battit bien fort, et, lorsqu’elle sut que Naroumof était dans les gardes à cheval, elle se repentit cruellement d’avoir compromis son secret en le livrant à un étourdi.
When Tomsky asked permission of his grandmother the Countess to present one of his friends to her, the young girl's heart beat violently. But hearing that Narumov was not an Engineer, she regretted that by her thoughtless question, she had betrayed her secret to the volatile Tomsky.
Hermann était le fils d’un Allemand établi en Russie, qui lui avait laissé un petit capital.
Fermement résolu à conserver son indépendance, il s’était fait une loi de ne pas toucher à ses revenus, vivait de sa solde et ne se passait pas la moindre fantaisie.
Il était peu communicatif, ambitieux, et sa réserve fournissait rarement à ses camarades l’occasion de s’amuser de ses dépens.
Sous un calme d’emprunt il cachait des passions violentes, une imagination désordonnée, mais il était toujours maître de lui et avait su se préserver des égarements ordinaires de la jeunesse.
Ainsi, né joueur, jamais il n’avait touché une carte, parce qu’il comprenait que sa position ne lui permettait pas (il le disait lui-même) de sacrifier le nécessaire dans l’espérance d’acquérir le superflu ; et cependant il passait des nuits entières devant un tapis vert, suivant avec une anxiété fébrile les chances rapides du jeu.
Hermann was the son of a German who had become a naturalised Russian, and from whom he had inherited a small capital.
Being firmly convinced of the necessity of preserving his independence, Hermann did not touch his private income, but lived on his pay, without allowing himself the slightest luxury.
Moreover, he was reserved and ambitious, and his companions rarely had an opportunity of making merry at the expense of his extreme parsimony.
He had strong passions and an ardent imagination, but his firmness of disposition preserved him from the ordinary errors of young men.
Thus, though a gamester at heart, he never touched a card, for he considered his position did not allow him--as he said--"to risk the necessary in the hope of winning the superfluous," yet he would sit for nights together at the card table and follow with feverish anxiety the different turns of the game.
L’anecdote des trois cartes du comte de Saint Germain avait fortement frappé son imagination, et toute la nuit il ne fit qu’y penser.
« Si pourtant, se disait-il le lendemain soir, en se promenant dans les rues de Pétersbourg,
si la vieille comtesse me confiait son secret ?
Si elle voulait seulement me dire trois cartes gagnantes !...
Il faut que je me fasse présenter, que je gagne sa confiance, que je lui fasse la cour...
Oui ! Elle a quatre-vingt-sept ans ! Elle peut mourir cette semaine, demain peut-être...
D’ailleurs, cette histoire... Y a-t-il un mot de vrai là-dedans ?
Non ; l’économie, la tempérance, le travail, voilà mes trois cartes gagnantes !
C’est avec elles que je doublerai, que je décuplerai mon capital.
Ce sont elles qui m’assureront l’indépendance et le bien-être. »
The story of the three cards had produced a powerful impression upon his imagination, and all night long he could think of nothing else.
"If," he thought to himself the following evening, as he walked along the streets of St. Petersburg,
"if the old Countess would but reveal her secret to me! if she would only tell me the names of the three winning cards.
Why should I not try my fortune?
I must get introduced to her and win her favour--become her lover...
But all that will take time, and she is eighty-seven years old: she might be dead in a week, in a couple of days even!...
But the story itself: can it really be true?... No!
Economy, temperance and industry: those are my three winning cards;
by means of them I shall be able to double my capital--increase it sevenfold, and procure for myself ease and independence."
Rêvant de la sorte, il se trouva dans une des grandes rues de Pétersbourg, devant une maison d’assez vieille architecture.
La rue était encombrée de voitures, défilant une à une devant une façade splendidement illuminée.
Il voyait sortir de chaque portière ouverte tantôt le petit pied d’une jeune femme, tantôt la botte à l’écuyère d’un général, cette fois un bas à jour, cette autre un soulier diplomatique.
Pelisses et manteaux passaient en procession devant un suisse gigantesque ; Hermann s’arrêta.
Musing in this manner, he walked on until he found himself in one of the principal streets of St. Petersburg, in front of a house of antiquated architecture.
The street was blocked with equipages; carriages one after the other drew up in front of the brilliantly illuminated doorway.
At one moment there stepped out on to the pavement the well-shaped little foot of some young beauty, at another the heavy boot of a cavalry officer, and then the silk stockings and shoes of a member of the diplomatic world.
Furs and cloaks passed in rapid succession before the gigantic porter at the entrance.
Hermann stopped.
« À qui est cette maison ? demanda-t-il à un garde de nuit (boudoutchnik) rencogné dans sa guérite.
– À la comtesse ***. »
C’était la grand-mère de Tomski.
Hermann tressaillit. L’histoire des trois cartes se représenta à son imagination.
Il se mit à tourner autour de la maison, pensant à la femme qui l’occupait, à sa richesse, à son pouvoir mystérieux.
De retour enfin dans son taudis, il fut longtemps avant de s’endormir, et, lorsque le sommeil s’empara de ses sens, il vit danser devant ses yeux des cartes, un tapis vert, des tas de ducats et de billets de banque.
Il se voyait faisant paroli sur paroli, gagnant toujours, empochant des piles de ducats et bourrant son portefeuille de billets.
"Who's house is this?" he asked of the watchman at the corner.
"The Countess A----'s," replied the watchman.
Hermann started. The strange story of the three cards again presented itself to his imagination.
He began walking up and down before the house, thinking of its owner and her strange secret.
Returning late to his modest lodging, he could not go to sleep for a long time, and when at last he did doze off, he could dream of nothing but cards, green tables, piles of bank notes and heaps of ducats.
He played one card after the other, winning uninterruptedly, and then he gathered up the gold and filled his pockets with the notes.
À son réveil, il soupira de ne plus trouver ses trésors fantastiques, et, pour se distraire, il alla de nouveau se promener par la ville.
Bientôt il fut en face de la maison de la comtesse ***.
Une force invincible l’entraînait. Il s’arrêta et regarda aux fenêtres.
Derrière une vitre il aperçut une jeune tête avec de beaux cheveux noirs, penchée gracieusement sur un livre sans doute, ou sur un métier.
La tête se releva ; il vit un frais visage et des yeux noirs. Cet instant-là décida de son sort.
When he woke up late the next morning, be sighed over the loss of his imaginary wealth, and then sallying out into the town, he found himself once more in front of the Countess's residence.
Some unknown power seemed to have attracted him thither. He stopped and looked up at the windows.
At one of these he saw a head with luxuriant black hair, which was bent down probably over some book or an embroidery frame.
The head was raised. Hermann saw a fresh complexion and a pair of dark eyes. That moment decided his fate.
III
Lisabeta Ivanovna ôtait son châle et son chapeau quand la comtesse l’envoya chercher.
Elle venait de faire remettre les chevaux à la voiture.
Tandis qu’à la porte de la rue deux laquais hissaient la vieille dame à grand-peine sur le marchepied, Lisabeta aperçut le jeune officier tout auprès d’elle ; elle sentit qu’il lui saisissait la main, la peur lui fit perdre la tête, et l’officier avait déjà disparu lui laissant un papier entre les doigts.
Elle se hâta de le cacher dans son gant.
Pendant toute la route, elle ne vit et n’entendit rien.
Lizaveta Ivanovna had scarcely taken off her hat and cloak, when the Countess sent for her and again ordered her to get the carriage ready.
The vehicle drew up before the door, and they prepared to take their seats.
Just at the moment when two footmen were assisting the old lady to enter the carriage, Lizaveta saw her Engineer standing close beside the wheel; he grasped her hand; alarm caused her to lose her presence of mind, and the young man disappeared--but not before he had left a letter between her fingers.
She concealed it in her glove, and during the whole of the drive she neither saw nor heard anything.
En voiture, la comtesse avait l’habitude sans cesse de faire des questions :
« Qui est cet homme qui nous a saluées ? Comment s’appelle ce pont ? Qu’est-ce qu’il y a écrit sur cette enseigne ? »
Lisabeta répondait tout de travers, et se fit gronder par la comtesse.
« Qu’as-tu donc aujourd’hui, petite ? À quoi penses-tu donc ? Ou bien est-ce que tu ne m’entends pas ?
Je ne grasseye pourtant pas, et je n’ai pas encore perdu la tête, hein ? »
Lisabeta ne l’écoutait pas.
It was the custom of the Countess, when out for an airing in her carriage, to be constantly asking such questions as: "Who was that person that met us just now? What is the name of this bridge? What is written on that signboard?"
On this occasion, however, Lizaveta returned such vague and absurd answers, that the Countess became angry with her.
"What is the matter with you, my dear?" she exclaimed.
"Have you taken leave of your senses, or what is it? Do you not hear me or understand what I say?...
Heaven be thanked, I am still in my right mind and speak plainly enough!"
Lizaveta Ivanovna did not hear her.
De retour à la maison, elle courut s’enfermer dans sa chambre et tira la lettre de son gant.
Elle n’était pas cachetée, et par conséquent il était impossible de ne pas la lire.
La lettre contenait des protestations d’amour.
Elle était tendre, respectueuse, et mot pour mot traduite d’un roman allemand ; mais Lisabeta ne savait pas l’allemand, et en fut fort contente.
Seulement, elle se trouvait bien embarrassée.
Pour la première fois de sa vie, elle avait un secret.
Être en correspondance avec un jeune homme ! Sa témérité la faisait frémir.
Elle se reprochait son imprudence, et ne savait quel parti prendre.
On returning home she ran to her room, and drew the letter out of her glove: it was not sealed. Lizaveta read it.
The letter contained a declaration of love; it was tender, respectful, and copied word for word from a German novel. But Lizaveta did not know anything of the German language, and she was quite delighted.
For all that, the letter caused her to feel exceedingly uneasy.
For the first time in her life she was entering into secret and confidential relations with a young man.
His boldness alarmed her. She reproached herself for her imprudent behaviour, and knew not what to do.
Cesser de travailler à la fenêtre, et, à force de froideur, dégoûter le jeune officier de sa poursuite, – lui renvoyer sa lettre, – lui répondre d’une manière ferme et décidée... À quoi se résoudre ?
Elle n’avait ni amie ni conseiller ; elle se résolut à répondre.
Elle s’assit à sa table, prit du papier et une plume, et médita profondément.
Plus d’une fois elle commença une phrase, puis déchira la feuille.
Le billet était tantôt trop sec, tantôt il manquait d’une juste réserve.
Enfin, à grand-peine, elle réussit à composer quelques lignes dont elle fut satisfaite :
Should she cease to sit at the window and, by assuming an appearance of indifference towards him, put a check upon the young officer's desire for further acquaintance with her? Should she send his letter back to him, or should she answer him in a cold and decided manner?
There was nobody to whom she could turn in her perplexity, for she had neither female friend nor adviser... At length she resolved to reply to him.
She sat down at her little writing-table, took pen and paper, and began to think.
Several times she began her letter, and then tore it up: the way she had expressed herself seemed to her either too inviting or too cold and decisive.
At last she succeeded in writing a few lines with which she felt satisfied.
« Je crois, écrivit-elle, que vos intentions sont celles d’un galant jeune homme, et que vous ne voudriez pas m’offenser par une conduite irréfléchie ; mais vous comprendrez que notre connaissance ne peut commencer de la sorte.
Je vous renvoie votre lettre, et j’espère que vous ne me donnerez pas lieu de regretter mon imprudence. »
"I am convinced," she wrote, "that your intentions are honourable, and that you do not wish to offend me by any imprudent behaviour, but our acquaintance must not begin in such a manner.
I return you your letter, and I hope that I shall never have any cause to complain of this undeserved slight."
Le lendemain, aussitôt qu’elle aperçut Hermann, elle quitta son métier, passa dans le salon, ouvrit le vasistas, et jeta la lettre dans la rue, comptant bien que le jeune officier ne la laisserait pas s’égarer.
En effet, Hermann la ramassa aussitôt, et entra dans une boutique de confiseur pour la lire.
N’y trouvant rien de décourageant, il rentra chez lui assez content du début de son intrigue amoureuse.
The next day, as soon as Hermann made his appearance, Lizaveta rose from her embroidery, went into the drawing-room, opened the ventilator and threw the letter into the street, trusting that the young officer would have the perception to pick it up.
Hermann hastened forward, picked it up and then repaired to a confectioner's shop.
Breaking the seal of the envelope, he found inside it his own letter and Lizaveta's reply.
He had expected this, and he returned home, his mind deeply occupied with his intrigue.
Quelques jours après, une jeune personne aux yeux fort éveillés vint demander à parler à mademoiselle Lisabeta de la part d’une marchande de modes.
Lisabeta ne la reçut pas sans inquiétude, prévoyant quelque mémoire arriéré ; mais sa surprise fut grande lorsqu’en ouvrant un papier qu’on lui remit elle reconnut l’écriture de Hermann.
Three days afterwards, a bright-eyed young girl from a milliner's establishment brought Lizaveta a letter.
Lizaveta opened it with great uneasiness, fearing that it was a demand for money, when suddenly she recognised Hermann's hand-writing.
« Vous vous trompez, mademoiselle, cette lettre n’est pas pour moi.
– Je vous demande bien pardon, répondit la modiste avec un sourire malin. Prenez donc la peine de la lire. »
Lisabeta y jeta les yeux. Hermann demandait un entretien.
« C’est impossible ! s’écria-t-elle, effrayée et de la hardiesse de la demande et de la manière dont elle lui était transmise. Cette lettre n’est pas pour moi. »
Et elle la déchira en mille morceaux.
« Si cette lettre n’est pas pour vous, mademoiselle, pourquoi la déchirez-vous ? reprit la modiste.
Il fallait la renvoyer à la personne à qui elle était destinée.
– Mon Dieu ! ma bonne, excusez-moi, dit Lisabeta toute déconcertée ; ne m’apportez plus jamais de lettres, je vous en prie, et dites à celui qui vous envoie qu’il devrait rougir de son procédé. »
"You have made a mistake, my dear," said she: "this letter is not for me."
"Oh, yes, it is for you," replied the girl, smiling very knowingly. "Have the goodness to read it."
Lizaveta glanced at the letter. Hermann requested an interview.
"It cannot be," she cried, alarmed at the audacious request, and the manner in which it was made. "This letter is certainly not for me."
And she tore it into fragments.
"If the letter was not for you, why have you torn it up?" said the girl.
"I should have given it back to the person who sent it."
"Be good enough, my dear," said Lizaveta, disconcerted by this remark,
"not to bring me any more letters for the future, and tell the person who sent you that he ought to be ashamed..."
Mais Hermann n’était pas homme à lâcher prise.
Chaque jour Lisabeta recevait une lettre nouvelle, arrivant tantôt d’une manière, tantôt d’une autre.
Maintenant ce n’était plus des traductions de l’allemand qu’on lui envoyait.
Hermann écrivait sous l’empire d’une passion violente, et parlait une langue qui était bien la sienne.
Lisabeta ne put tenir contre ce torrent d’éloquence. Elle reçut les lettres de bonne grâce, et bientôt y répondit.
Chaque jour, ses réponses devenaient plus longues et plus tendres.
Enfin, elle lui jeta par la fenêtre le billet suivant :
But Hermann was not the man to be thus put off.
Every day Lizaveta received from him a letter, sent now in this way, now in that.
They were no longer translated from the German.
Hermann wrote them under the inspiration of passion, and spoke in his own language, and they bore full testimony to the inflexibility of his desire and the disordered condition of his uncontrollable imagination.
Lizaveta no longer thought of sending them back to him: she became intoxicated with them and began to reply to them, and little by little her answers became longer and more affectionate.
At last she threw out of the window to him the following letter:
« Aujourd’hui il y a bal chez l’ambassadeur de ***. La comtesse y va.
Nous y resterons jusqu’à deux heures. Voici comment vous pourrez me voir sans témoins.
Dès que la comtesse sera partie, vers onze heures, les gens ne manquent pas de s’éloigner.
Il ne restera que le suisse dans le vestibule, et il est presque toujours endormi dans son tonneau.
Entrez dès que onze heures sonneront, et aussitôt montez rapidement l’escalier.
"This evening there is going to be a ball at the Embassy. The Countess will be there.
We shall remain until two o'clock. You have now an opportunity of seeing me alone.
As soon as the Countess is gone, the servants will very probably go out,
and there will be nobody left but the Swiss, but he usually goes to sleep in his lodge.
Come about half-past eleven. Walk straight upstairs.
Si vous trouvez quelqu’un dans l’antichambre, vous demanderez si la comtesse est chez elle :
on vous répondra qu’elle est sortie et alors il faudra bien se résigner à partir ;
mais très probablement vous ne rencontrerez personne.
Les femmes de la comtesse sont toutes ensemble dans une chambre éloignée.
Arrivé dans l’antichambre, prenez à gauche, et allez tout droit devant vous jusqu’à ce que vous soyez dans la chambre à coucher de la comtesse.
Là, derrière un grand paravent, vous trouverez deux portes : celle de droite ouvre dans un cabinet noir, celle de gauche donne dans un corridor au bout duquel est un petit escalier tournant ; il mène à ma chambre. »
If you meet anybody in the ante-room, ask if the Countess is at home.
You will be told 'No,' in which case there will be nothing left for you to do but to go away again.
But it is most probable that you will meet nobody.
The maidservants will all be together in one room.
On leaving the ante-room, turn to the left, and walk straight on until you reach the Countess's bedroom.
In the bedroom, behind a screen, you will find two doors: the one on the right leads to a cabinet, which the Countess never enters; the one on the left leads to a corridor, at the end of which is a little winding staircase; this leads to my room."
Hermann frémissait, comme un tigre à l’affût, en attendant l’heure du rendez-vous.
Dès dix heures, il était en faction devant la porte de la comtesse.
Il faisait un temps affreux. Les vents étaient déchaînés, la neige tombait à larges flocons.
Les réverbères ne jetaient qu’une lueur incertaine ; les rues étaient désertes. De temps en temps passait un fiacre fouettant une rosse maigre, et cherchant à découvrir un passant attardé. Couvert d’une mince redingote, Hermann ne sentait ni le vent ni la neige.
Hermann trembled like a tiger, as he waited for the appointed time to arrive.
At ten o'clock in the evening he was already in front of the Countess's house.
The weather was terrible; the wind blew with great violence; the sleety snow fell in large flakes; the lamps emitted a feeble light, the streets were deserted; from time to time a sledge, drawn by a sorry-looking hack, passed by, on the look-out for a belated passenger. Hermann was enveloped in a thick overcoat, and felt neither wind nor snow.
Enfin parut la voiture de la comtesse.
Il vit deux grands laquais prendre par-dessous les bras ce spectre cassé, et le déposer sur les coussins, bien empaqueté dans une énorme pelisse.
Aussitôt après, enveloppée d’un petit manteau, la tête couronnée de fleurs naturelles, Lisabeta s’élança comme un trait dans la voiture.
La portière se ferma, et la voiture roula sourdement sur la neige molle.
Le suisse ferma la porte de la rue. Les fenêtres du premier étage devinrent sombres, le silence régna dans la maison.
At last the Countess's carriage drew up.
Hermann saw two footmen carry out in their arms the bent form of the old lady, wrapped in sable fur, and immediately behind her, clad in a warm mantle, and with her head ornamented with a wreath of fresh flowers, followed Lizaveta.
The door was closed. The carriage rolled away heavily through the yielding snow.
The porter shut the street-door; the windows became dark.
Hermann se promenait de long en large.
Bientôt il s’approcha d’un réverbère, et regarda sa montre. onze heures moins vingt minutes.
Appuyé contre le réverbère, les yeux fixés sur l’aiguille, il comptait avec impatience les minutes qui restaient.
À onze heures juste, Hermann montait les degrés, ouvrait la porte de la rue, entrait dans le vestibule, en ce moment fort éclairé.
Ô bonheur ! point de suisse.
D’un pas ferme et rapide, il franchit l’escalier en un clin d’œil, et se trouva dans l’antichambre.
Là, devant une lampe, un valet de pied donnait étendu dans une vieille bergère toute crasseuse.
Hermann began walking up and down near the deserted house; at length he stopped under a lamp, and glanced at his watch: it was twenty minutes past eleven.
He remained standing under the lamp, his eyes fixed upon the watch, impatiently waiting for the remaining minutes to pass.
At half-past eleven precisely, Hermann ascended the steps of the house, and made his way into the brightly-illuminated vestibule.
The porter was not there.
Hermann hastily ascended the staircase, opened the door of the ante-room and saw a footman sitting asleep in an antique chair by the side of a lamp.
Hermann passa prestement devant lui, et traversa la salle à manger et le salon, où il n’y avait pas de lumière ; la lampe de l’antichambre lui servait à se guider.
Le voilà enfin dans la chambre à coucher.
Devant l’armoire sainte, remplie de vieilles images, brûlait une lampe d’or.
Des fauteuils dorés, des divans aux couleurs passées et aux coussins moelleux étaient disposés symétriquement le long des murailles tendues de soieries de la Chine. on remarquait d’abord deux grands portraits peints par madame Lebrun.
With a light firm step Hermann passed by him.
The drawing-room and dining-room were in darkness, but a feeble reflection penetrated thither from the lamp in the ante-room.
Hermann reached the Countess's bedroom.
Before a shrine, which was full of old images, a golden lamp was burning.
Faded stuffed chairs and divans with soft cushions stood in melancholy symmetry around the room, the walls of which were hung with China silk. on one side of the room hung two portraits painted in Paris by Madame Lebrun.
L’un représentait un homme de quarante ans, gros et haut en couleur, en habit vert clair, avec une plaque sur la poitrine.
Le second portrait était celui d’une jeune élégante, le nez aquilin, les cheveux relevés sur les tempes, avec de la poudre et une rose sur l’oreille.
Dans tous les coins, on voyait des bergers en porcelaine de Saxe, des vases de toutes formes, des pendules de Leroy, des paniers, des éventails, et les mille joujoux à l’usage des dames, grandes découvertes du siècle dernier, contemporaines des ballons de Montgolfier et du magnétisme de Mesmer.
One of these represented a stout, red-faced man of about forty years of age in a bright-green uniform and with a star upon his breast; the other--a beautiful young woman, with an aquiline nose, forehead curls and a rose in her powdered hair.
In the corners stood porcelain shepherds and shepherdesses, dining-room clocks from the workshop of the celebrated Lefroy, bandboxes, roulettes, fans and the various playthings for the amusement of ladies that were in vogue at the end of the last century, when Montgolfier's balloons and Mesmer's magnetism were the rage.
Hermann passa derrière le paravent, qui cachait un petit lit en fer.
Il aperçut les deux portes : à droite celle du cabinet noir, à gauche celle du corridor.
Il ouvrit cette dernière, vit le petit escalier qui conduisait chez la pauvre demoiselle de compagnie ;
puis il referma cette porte, et entra dans le cabinet noir.
Hermann stepped behind the screen.
At the back of it stood a little iron bedstead; on the right was the door which led to the cabinet; on the left--the other which led to the corridor. He opened the latter, and saw the little winding staircase which led to the room of the poor companion...
But he retraced his steps and entered the dark cabinet.
Le temps s’écoulait lentement. Dans la maison, tout était tranquille.
La pendule du salon sonna minuit, et le silence recommença.
Hermann était debout, appuyé contre un poêle sans feu.
Il était calme. Son cœur battait par pulsations bien égales, comme celui d’un homme déterminé à braver tous les dangers qui s’offriront à lui, parce qu’il les sait inévitables.
The time passed slowly. All was still.
The clock in the drawing-room struck twelve; the strokes echoed through the room one after the other, and everything was quiet again.
Hermann stood leaning against the cold stove.
He was calm; his heart beat regularly, like that of a man resolved upon a dangerous but inevitable undertaking.
Il entendit sonner une heure, puis deux heures ; puis bientôt après, le roulement lointain d’une voiture.
Alors il se sentit ému malgré lui. La voiture approcha rapidement et s’arrêta.
Grand bruit aussitôt de domestiques courant dans les escaliers, des voix confuses ;
tous les appartements s’illuminent, et trois vieilles femmes de chambre entrent à la fois dans la chambre à coucher ; enfin paraît la comtesse, momie ambulante, qui se laisse tomber dans un grand fauteuil à la Voltaire.
One o'clock in the morning struck; then two; and he heard the distant noise of carriage-wheels.
An involuntary agitation took possession of him. The carriage drew near and stopped.
He heard the sound of the carriage-steps being let down. All was bustle within the house.
The servants were running hither and thither, there was a confusion of voices, and the rooms were lit up.
Three antiquated chamber-maids entered the bedroom, and they were shortly afterwards followed by the Countess who, more dead than alive, sank into a Voltaire armchair.
Hermann regardait par une fente.
Il vit Lisabeta passer tout contre lui et il entendit son pas précipité dans le petit escalier tournant.
Au fond du cœur, il sentit bien quelque chose comme un remords, mais cela passa. Son cœur redevint de pierre.
Hermann peeped through a chink.
Lizaveta Ivanovna passed close by him, and he heard her hurried steps as she hastened up the little spiral staircase.
For a moment his heart was assailed by something like a pricking of conscience, but the emotion was only transitory, and his heart became petrified as before.
La comtesse se mit à se déshabiller devant un miroir.
on lui ôta sa coiffure de roses et on sépara sa perruque poudrée de ses cheveux à elle, tout ras et tout blancs.
Les épingles tombaient en pluie autour d’elle.
Sa robe jaune, lamée d’argent, glissa jusqu’à ses pieds gonflés.
Hermann assista malgré lui à tous les détails peu ragoûtants, d’une toilette de nuit ;
enfin la comtesse demeura en peignoir et en bonnet de nuit.
En ce costume plus convenable à son âge, elle était un peu moins effroyable.
The Countess began to undress before her looking-glass.
Her rose-bedecked cap was taken off, and then her powdered wig was removed from off her white and closely-cut hair.
Hairpins fell in showers around her.
Her yellow satin dress, brocaded with silver, fell down at her swollen feet.
Hermann was a witness of the repugnant mysteries of her toilette; at last the Countess was in her night-cap and dressing-gown, and in this costume, more suitable to her age, she appeared less hideous and deformed.
Comme la plupart des vieilles gens, la comtesse était tourmentée par des insomnies.
Après s’être déshabillée, elle fit rouler son fauteuil dans l’embrasure d’une fenêtre et congédia ses femmes.
on éteignit les bougies, et la chambre ne fut plus éclairée que par la lampe qui brûlait devant les saintes images.
La comtesse, toute jaune, toute ratatinée, les lèvres pendantes, se balançait doucement à droite et à gauche.
Dans ses yeux ternes on lisait l’absence de la pensée ; et, en la regardant se brandiller ainsi,
on eût dit qu’elle ne se mouvait pas par l’action de la volonté, mais par quelque mécanisme secret.
Like all old people in general, the Countess suffered from sleeplessness.
Having undressed, she seated herself at the window in a Voltaire armchair and dismissed her maids.
The candles were taken away, and once more the room was left with only one lamp burning in it.
The Countess sat there looking quite yellow, mumbling with her flaccid lips and swaying to and fro.
Her dull eyes expressed complete vacancy of mind, and, looking at her, one would have thought that the rocking of her body was not a voluntary action of her own, but was produced by the action of some concealed galvanic mechanism.
Tout à coup ce visage de mort changea d’expression.
Les lèvres cessèrent de trembler, les yeux s’animèrent.
Devant la comtesse, un inconnu venait de paraître : c’était Hermann.
Suddenly the death-like face assumed an inexplicable expression.
The lips ceased to tremble, the eyes became animated: before the Countess stood an unknown man.
« N’ayez pas peur, madame, dit Hermann à voix basse, mais en accentuant bien ses mots.
Pour l’amour de Dieu, n’ayez pas peur. Je ne veux pas vous faire le moindre mal.
Au contraire, c’est une grâce que je viens implorer de vous. »
La vieille le regardait en silence, comme si elle ne comprenait pas.
Il crut qu’elle était sourde, et, se penchant à son oreille, il répéta son exorde.
La comtesse continua à garder le silence.
"Do not be alarmed, for Heaven's sake, do not be alarmed!" said he in a low but distinct voice.
"I have no intention of doing you any harm, I have only come to ask a favour of you."
The old woman looked at him in silence, as if she had not heard what he had said.
Hermann thought that she was deaf, and bending down towards her ear, he repeated what he had said.
The aged Countess remained silent as before.
« Vous pouvez, continua Hermann, assurer le bonheur de toute ma vie, et sans qu’il vous en coûte rien...
Je sais que vous pouvez me dire trois cartes qui... »
Hermann s’arrêta.
La comtesse comprit sans doute ce qu’on voulait d’elle ; peut-être cherchait-elle une réponse. Elle dit :
« C’était une plaisanterie... Je vous le jure, une plaisanterie.
"You can insure the happiness of my life," continued Hermann,
"and it will cost you nothing. I know that you can name three cards in order--"
Hermann stopped.
The Countess appeared now to understand what he wanted; she seemed as if seeking for words to reply.
"It was a joke," she replied at last: "I assure you it was only a joke."
– Non, madame, répliqua Hermann d’un ton colère. Souvenez-vous de Tchaplitzki, que vous fîtes gagner... »
La comtesse parut troublée.
Un instant, ses traits exprimèrent une vive émotion, mais bientôt ils reprirent une immobilité stupide.
« Ne pouvez-vous pas, dit Hermann, m’indiquer trois cartes gagnantes ? »
La comtesse se taisait ; il continua :
"There is no joking about the matter," replied Hermann angrily. "Remember Chaplitzky, whom you helped to win."
The Countess became visibly uneasy.
Her features expressed strong emotion, but they quickly resumed their former immobility.
"Can you not name me these three winning cards?" continued Hermann.
The Countess remained silent; Hermann continued:
« Pourquoi garder pour vous ce secret ? Pour vos petits-fils ?
Ils sont riches sans cela. Ils ne savent pas le prix de l’argent.
À quoi leur serviraient vos trois cartes ? Ce sont des débauchés.
Celui qui ne sait pas garder son patrimoine mourra dans l’indigence, eût-il la science des démons à ses ordres.
Je suis un homme rangé, moi ; je connais le prix de l’argent.
Vos trois cartes ne seront pas perdues pour moi. Allons... »
"For whom are you preserving your secret? For your grandsons?
They are rich enough without it; they do not know the worth of money.
Your cards would be of no use to a spendthrift.
He who cannot preserve his paternal inheritance, will die in want, even though he had a demon at his service.
I am not a man of that sort; I know the value of money.
Your three cards will not be thrown away upon me. Come!"...
Il s’arrêta, attendant une réponse en tremblant. La comtesse ne disait mot.
Hermann se mit à genoux.
He paused and tremblingly awaited her reply. The Countess remained silent;
Hermann fell upon his knees.
« Si votre cœur a jamais connu l’amour,
si vous vous rappelez ses douces extases,
si vous avez jamais souri au cri d’un nouveau-né,
si quelque sentiment humain a jamais fait battre votre cœur,
je vous en supplie par l’amour d’un époux, d’un amant, d’une mère,
par tout ce qu’il y a de saint dans la vie, ne rejetez pas ma prière.
Révélez-moi votre secret ! Voyons !
Peut-être se lie-t-il à quelque péché terrible, à la perte de votre bonheur éternel ?
N’auriez-vous pas fait quelque pacte diabolique ?...
"If your heart has ever known the feeling of love," said he,
"if you remember its rapture, if you have ever smiled at the cry of your new-born child,
if any human feeling has ever entered into your breast,
I entreat you by the feelings of a wife, a lover, a mother, by all that is most sacred in life, not to reject my prayer.
Reveal to me your secret. Of what use is it to you?...
May be it is connected with some terrible sin with the loss of eternal salvation, with some bargain with the devil...
Pensez-y, vous êtes bien âgée, vous n’avez plus longtemps à vivre.
Je suis prêt à prendre sur mon âme tous vos péchés, à en répondre seul devant Dieu ! Dites-moi votre secret !
Songez que le bonheur d’un homme se trouve entre vos mains, que non seulement moi, mais mes enfants,
mes petits-enfants, nous bénirons tous votre mémoire et vous vénérerons comme une sainte. »
La vieille comtesse ne répondit pas un mot.
Hermann se releva.
Reflect,--you are old; you have not long to live--
I am ready to take your sins upon my soul. only reveal to me your secret.
Remember that the happiness of a man is in your hands, that not only I, but my children,
and grandchildren will bless your memory and reverence you as a saint..."
The old Countess answered not a word.
Hermann rose to his feet.
« Maudite vieille, s’écria-t-il en grinçant des dents, je saurai bien te faire parler ! »
Et il tira un pistolet de sa poche.
À la vue du pistolet, la comtesse, pour la seconde fois, montra une vive émotion.
Sa tête branla plus fort, elle étendit ses mains comme pour écarter l’arme,
puis, tout d’un coup, se renversant en arrière, elle demeura immobile.
"You old hag!" he exclaimed, grinding his teeth, "then I will make you answer!"
With these words he drew a pistol from his pocket.
At the sight of the pistol, the Countess for the second time exhibited strong emotion.
She shook her head and raised her hands as if to protect herself from the shot...
then she fell backwards and remained motionless.
« Allons ! Cessez de faire l’enfant, dit Hermann en lui saisissant la main.
Je vous adjure pour la dernière fois. Voulez-vous me dire vos trois cartes, oui ou non ? »
"Come, an end to this childish nonsense!" said Hermann, taking hold of her hand.
"I ask you for the last time: will you tell me the names of your three cards, or will you not?"
La comtesse ne répondit pas. Hermann s’aperçut qu’elle était morte.
The Countess made no reply. Hermann perceived that she was dead!
IV
Lisabeta Ivanovna était assise dans sa chambre, encore en toilette de bal, plongée dans une profonde méditation.
De retour à la maison, elle s’était hâtée de congédier sa femme de chambre en lui disant qu’elle n’avait besoin de personne pour se déshabiller, et elle était montée dans son appartement, tremblant d’y trouver Hermann, désirant de même ne l’y pas trouver.
Du premier coup d’œil elle s’assura de son absence et remercia le hasard qui avait fait manquer leur rendez-vous.
Elle s’assit toute pensive, sans songer à changer de toilette, et se mit à repasser dans sa mémoire toutes les circonstances d’une liaison commencée depuis si peu de temps, et qui pourtant l’avait déjà menée si loin.
Lizaveta Ivanovna was sitting in her room, still in her ball dress, lost in deep thought.
On returning home, she had hastily dismissed the chambermaid who very reluctantly came forward to assist her, saying that she would undress herself, and with a trembling heart had gone up to her own room, expecting to find Hermann there, but yet hoping not to find him.
At the first glance she convinced herself that he was not there, and she thanked her fate for having prevented him keeping the appointment.
She sat down without undressing, and began to recall to mind all the circumstances which in so short a time had carried her so far.
Trois semaines s’étaient à peine écoulées depuis que de sa fenêtre elle avait aperçu le jeune officier,
et déjà elle lui avait écrit, et il avait réussi à obtenir d’elle un rendez-vous la nuit.
Elle savait son nom, voilà tout.
Elle en avait reçu quantité de lettres, mais jamais il ne lui avait adressé la parole ; elle ne connaissait pas le son de sa voix.
Jusqu’à ce soir-là même, chose étrange, elle n’avait jamais entendu parler de lui.
Ce soir-là, Tomski, croyant s’apercevoir que la jeune princesse Pauline ***,
auprès de laquelle il était fort assidu, coquetait, contre son habitude, avec un autre que lui, avait voulu s’en venger en faisant parade d’indifférence.
Dans ce beau dessein, il avait invité Lisabeta pour une interminable mazurka.
It was not three weeks since the time when she first saw the young officer from the window--and yet she was already in correspondence with him, and he had succeeded in inducing her to grant him a nocturnal interview!
She knew his name only through his having written it at the bottom of some of his letters;
she had never spoken to him, had never heard his voice, and had never heard him spoken of until that evening.
But, strange to say, that very evening at the ball, Tomsky, being piqued with the young Princess Pauline N----,
who, contrary to her usual custom, did not flirt with him, wished to revenge himself by assuming an air of indifference:
he therefore engaged Lizaveta Ivanovna and danced an endless mazurka with her.
Il lui fit force plaisanteries sur sa partialité pour les officiers de l’armée du génie,
et, tout en feignant d’en savoir beaucoup plus qu’il n’en disait,
il arriva que quelques-unes de ses plaisanteries tombèrent si justes,
que plus d’une fois Lisabeta put croire que son secret était découvert.
« Mais enfin, dit-elle en souriant, de qui tenez vous tout cela ?
– D’un ami de l’officier que vous savez. D’un homme très original.
– Et quel est cet homme si original ?
– Il s’appelle Hermann. »
Elle ne répondit rien, mais elle sentit ses mains et ses pieds se glacer.
During the whole of the time he kept teasing her about her partiality for Engineer officers;
he assured her that he knew far more than she imagined, and some of his jests were so happily aimed, that Lizaveta thought several times that her secret was known to him.
"From whom have you learnt all this?" she asked, smiling.
"From a friend of a person very well known to you," replied Tomsky, "from a very distinguished man."
"And who is this distinguished man?"
"His name is Hermann."
Lizaveta made no reply; but her hands and feet lost all sense of feeling.
« Hermann est un héros de roman, continua Tomski.
Il a le profil de Napoléon et l’âme de Méphistophélès.
Je crois qu’il a au moins trois crimes sur la conscience. Comme vous êtes pâle !
– J’ai la migraine. Eh bien ! que vous a dit ce M. Hermann ? N’est-ce pas ainsi que vous l’appelez.
"This Hermann," continued Tomsky, "is a man of romantic personality.
He has the profile of a Napoleon, and the soul of a Mephistopheles.
I believe that he has at least three crimes upon his conscience... How pale you have become!"
"I have a headache... But what did this Hermann--or whatever his name is--tell you?"
– Hermann est très mécontent de son ami, de l’officier du génie que vous connaissez.
Il dit qu’à sa place il en userait autrement.
Et puis, je parierais que Hermann a ses projets sur vous.
Du moins, il paraît écouter avec un intérêt fort étrange les confidences de son ami...
– Et où m’a-t-il vue ?
– À l’église peut-être ; à la promenade, Dieu sait où,
peut-être dans votre chambre pendant que vous dormiez. Il est capable de tout... »
"Hermann is very much dissatisfied with his friend: he says that in his place he would act very differently...
I even think that Hermann himself has designs upon you;
at least, he listens very attentively to all that his friend has to say about you."
"And where has he seen me?"
"In church, perhaps; or on the parade--God alone knows where.
It may have been in your room, while you were asleep, for there is nothing that he--"
En ce moment, trois dames s’avançant, selon les us de la mazurka, pour l’inviter à choisir entre oubli* ou regret* , interrompirent une conversation qui excitait douloureusement la curiosité de Lisabeta Ivanovna.
La dame qui, en vertu de ces infidélités que la mazurka autorise, venait d’être choisie par Tomski était la princesse Pauline.
Il y eut entre eux une grande explication pendant les évolutions répétées que la figure les obligeait à faire et la conduite très lente jusqu’à la chaise de la dame.
De retour auprès de sa danseuse, Tomski ne pensait plus ni à Hermann ni à Lisabeta Ivanovna.
Elle essaya vainement de continuer la conversation, mais la mazurka finit et aussitôt après la vieille comtesse se leva pour sortir.
Three ladies approaching him with the question: "oubli ou regret?" interrupted the conversation, which had become so tantalisingly interesting to Lizaveta.
The lady chosen by Tomsky was the Princess Pauline herself.
She succeeded in effecting a reconciliation with him during the numerous turns of the dance, after which he conducted her to her chair.
On returning to his place, Tomsky thought no more either of Hermann or Lizaveta.
She longed to renew the interrupted conversation, but the mazurka came to an end, and shortly afterwards the old Countess took her departure.
Les phrases mystérieuses de Tomski n’étaient autre chose que des platitudes à l’usage de la mazurka,
mais elles étaient entrées profondément dans le cœur de la pauvre demoiselle de compagnie.
Le portrait ébauché par Tomski lui parut d’une ressemblance frappante, et, grâce à son érudition romanesque,
elle voyait dans le visage assez insignifiant de son adorateur de quoi la charmer et l’effrayer tout à la fois.
Elle était assise les mains dégantées, les épaules nues ; sa tête parée de fleurs tombait sur sa poitrine,
quand tout à coup la porte s’ouvrit, et Hermann entra. Elle tressaillit.
Tomsky's words were nothing more than the customary small talk of the dance, but they sank deep into the soul of the young dreamer.
The portrait, sketched by Tomsky, coincided with the picture she had formed within her own mind, and thanks to the latest romances, the ordinary countenance of her admirer became invested with attributes capable of alarming her and fascinating her imagination at the same time.
She was now sitting with her bare arms crossed and with her head, still adorned with flowers, sunk upon her uncovered bosom. Suddenly the door opened and Hermann entered. She shuddered.
« Où étiez-vous ? lui demanda-t-elle toute tremblante.
– Dans la chambre à coucher de la comtesse, répondit Hermann.
Je la quitte à l’instant : elle est morte.
– Bon Dieu !... Que dites-vous !
– Et je crains, continua-t-il, d’être cause de sa mort. »
Lisabeta Ivanovna le regardait tout effarée, et la phrase de Tomski lui revint à la mémoire :
« Il a au moins trois crimes sur la conscience ! »
Hermann s’assit auprès de la fenêtre, et lui raconta tout.
"Where were you?" she asked in a terrified whisper.
"In the old Countess's bedroom," replied Hermann:
"I have just left her. The Countess is dead."
"My God! What do you say?"
"And I am afraid," added Hermann, "that I am the cause of her death."
Lizaveta looked at him, and Tomsky's words found an echo in her soul:
"This man has at least three crimes upon his conscience!"
Hermann sat down by the window near her, and related all that had happened.
Elle l’écouta avec épouvante.
Ainsi, ces lettres si passionnées, ces expressions brûlantes, cette poursuite si hardie, si obstinée, tout cela, l’amour ne l’avait pas inspiré.
L’argent seul, voilà ce qui enflammait son âme.
Elle qui n’avait que son cœur à lui offrir, pouvait-elle le rendre heureux ? Pauvre enfant !
Elle avait été l’instrument aveugle d’un voleur, du meurtrier de sa vieille bienfaitrice.
Elle pleurait amèrement dans l’agonie de son repentir.
Lizaveta listened to him in terror.
So all those passionate letters, those ardent desires, this bold obstinate pursuit--all this was not love! Money--that was what his soul yearned for! She could not satisfy his desire and make him, happy I
The poor girl had been nothing but the blind tool of a robber, of the murderer of her aged benefactress!...
She wept bitter tears of agonised repentance.
Hermann la regardait en silence ; mais ni les larmes de l’infortunée ni sa beauté rendue plus touchante par la douleur ne pouvaient ébranler cette âme de fer.
Il n’avait pas un remords en songeant à la mort de la comtesse.
Une seule pensée le déchirait, c’était la perte irréparable du secret dont il avait attendu sa fortune.
« Mais vous êtes un monstre ! s’écria Lisabeta après un long silence.
Hermann gazed at her in silence: his heart, too, was a prey to violent emotion, but neither the tears of the poor girl, nor the wonderful charm of her beauty, enhanced by her grief, could produce any impression upon his hardened soul.
He felt no pricking of conscience at the thought of the dead old woman.
One thing only grieved him: the irreparable loss of the secret from which he had expected to obtain great wealth.
"You are a monster!" said Lizaveta at last.
– Je ne voulais pas la tuer, répondit-il froidement ; mon pistolet n’était pas chargé. »
Ils demeurèrent longtemps sans se parler, sans se regarder.
Le jour venait,
Lisabeta éteignit la chandelle qui brûlait dans la bobèche.
La chambre s’éclaira d’une lumière blafarde.
Elle essuya ses yeux noyés de pleurs, et les leva sur Hermann.
Il était toujours près de la fenêtre, les bras croisés, fronçant le sourcil.
Dans cette attitude, il lui rappela involontairement le portrait de Napoléon. Cette ressemblance l’accabla.
"I did not wish for her death," replied Hermann: "my pistol was not loaded."
Both remained silent.
The day began to dawn.
Lizaveta extinguished her candle: a pale light illumined her room.
She wiped her tear-stained eyes and raised them towards Hermann: he was sitting near the window, with his arms crossed and with a fierce frown upon his forehead.
In this attitude he bore a striking resemblance to the portrait of Napoleon. This resemblance struck Lizaveta even.
« Comment vous faire sortir d’ici ? lui dit-elle enfin.
Je pensais à vous faire sortir par l’escalier dérobé, mais il faudrait passer par la chambre de la comtesse, et j’ai trop peur...
– Dites-moi seulement où je trouverai cet escalier dérobé ; j’irai bien seul. »
Elle se leva, chercha dans un tiroir une clé qu’elle remit à Hermann, en lui donnant tous les renseignements nécessaires.
Hermann prit sa main glacée, déposa un baiser sur son front qu’elle baissait, il sortit.
"How shall I get you out of the house?" said she at last.
"I thought of conducting you down the secret staircase, but in that case it would be necessary to go through the Countess's bedroom, and I am afraid."
"Tell me how to find this secret staircase--I will go alone."
Lizaveta arose, took from her drawer a key, handed it to Hermann and gave him the necessary instructions.
Hermann pressed her cold, limp hand, kissed her bowed head, and left the room.
Il descendit l’escalier tournant et entra dans la chambre de la comtesse.
Elle était assise dans son fauteuil, toute raide ; les traits de son visage n’étaient point contractés.
Il s’arrêta devant elle, et la contempla quelque temps comme pour s’assurer de l’effrayante réalité ;
puis il entra dans le cabinet noir, et, en tâtant la tapisserie découvrit une petite porte qui ouvrait sur un escalier.
En descendant, d’étranges idées lui vinrent en tête.
« Par cet escalier, se disait-il, il y a quelque soixante ans, à pareille heure, sortant de cette chambre à coucher, en habit brodé, coiffé à l’oiseau royal*, serrant son chapeau à trois cornes contre sa poitrine, on aurait pu surprendre quelque galant, enterré depuis de longues années, et, aujourd’hui même, le cœur de sa vieille maîtresse a cessé de battre. »
He descended the winding staircase, and once more entered the Countess's bedroom.
The dead old lady sat as if petrified; her face expressed profound tranquillity.
Hermann stopped before her, and gazed long and earnestly at her, as if he wished to convince himself of the terrible reality; at last he entered the cabinet, felt behind the tapestry for the door, and then began to descend the dark staircase, filled with strange emotions.
"Down this very staircase," thought he, "perhaps coming from the very same room, and at this very same hour sixty years ago, there may have glided, in an embroidered coat, with his hair dressed a l'oiseau royal and pressing to his heart his three-cornered hat, some young gallant, who has long been mouldering in the grave, but the heart of his aged mistress has only to-day ceased to beat..."
Au bout de l’escalier, il trouva une autre porte que sa clé ouvrit. Il entra dans un corridor, et bientôt il gagna la rue.
At the bottom of the staircase Hermann found a door, which he opened with a key, and then traversed a corridor which conducted him into the street.
V
Trois jours après cette nuit fatale, à neuf heures du matin, Hermann entrait dans le couvent de ***, où l’on devait rendre les derniers devoirs à la dépouille mortelle de la vieille comtesse.
Il n’avait pas de remords, et cependant il ne pouvait se dissimuler qu’il était l’assassin de cette pauvre femme.
N’ayant pas de foi, il avait, selon l’ordinaire, beaucoup de superstition.
Persuadé que la comtesse morte pouvait exercer une maligne influence sur sa vie, il s’était imaginé qu’il apaiserait ses mânes en assistant à ses funérailles.
Three days after the fatal night, at nine o'clock in the morning, Hermann repaired to the Convent of ----, where the last honours were to be paid to the mortal remains of the old Countess.
Although feeling no remorse, he could not altogether stifle the voice of conscience, which said to him:
"You are the murderer of the old woman!"
In spite of his entertaining very little religious belief, he was exceedingly superstitious; and believing that the dead Countess might exercise an evil influence on his life, he resolved to be present at her obsequies in order to implore her pardon.
L’église était pleine de monde, et il eut beaucoup de peine à trouver place.
Le corps était disposé sur un riche catafalque, sous un balda quin de velours.
La comtesse était couchée dans sa bière, les mains jointes sur la poitrine, avec une robe de satin blanc et des coiffes de dentelles.
Autour du catafalque, la famille était réunie ; les domestiques en caftan noir, avec un nœud de rubans armoriés sur l’épaule, un cierge à la main ; les parents en grand deuil, enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, personne ne pleurait ; les larmes eussent passé pour une affectation*.
The church was full. It was with difficulty that Hermann made his way through the crowd of people.
The coffin was placed upon a rich catafalque beneath a velvet baldachin.
The deceased Countess lay within it, with her hands crossed upon her breast, with a lace cap upon her head and dressed in a white satin robe.
Around the catafalque stood the members of her household: the servants in black caftans, with armorial ribbons upon their shoulders, and candles in their hands; the relatives--children, grandchildren, and great-grandchildren--in deep mourning.
La comtesse était si vieille, que sa mort ne pouvait surprendre personne, et l’on s’était accoutumé depuis longtemps à la regarder comme déjà hors de ce monde.
Un prédicateur célèbre prononça l’oraison funèbre.
Dans quelques phrases simples et touchantes, il peignit le départ final du juste, qui a passé de longues années dans les préparatifs attendrissants d’une fin chrétienne.
« L’ange de la mort l’a enlevée, dit l’orateur, au milieu de l’allégresse de ses pieuses méditations et dans l’attente du fiancé de minuit. »
Nobody wept; tears would have been une affectation.
The Countess was so old, that her death could have surprised nobody, and her relatives had long looked upon her as being out of the world.
A famous preacher pronounced the funeral sermon.
In simple and touching words he described the peaceful passing away of the righteous, who had passed long years in calm preparation for a Christian end.
"The angel of death found her," said the orator, "engaged in pious meditation and waiting for the midnight bridegroom."
Le service s’acheva dans le recueillement convenable.
Alors les parents vinrent faire leurs derniers adieux à la défunte.
Après eux, en longue procession, tous les invités à la cérémonie s’inclinèrent pour la dernière fois devant celle qui, depuis tant d’années, avait été un épouvantail pour leurs amusements.
La maison de la comtesse s’avança la dernière. on remarquait une vieille gouvernante du même âge que la défunte, soutenue par deux femmes.
Elle n’avait pas la force de s’agenouiller, mais des larmes coulèrent de ses yeux quand elle baisa la main de sa maîtresse.
The service concluded amidst profound silence.
The relatives went forward first to take farewell of the corpse.
Then followed the numerous guests, who had come to render the last homage to her who for so many years had been a participator in their frivolous amusements.
After these followed the members of the Countess's household.
The last of these was an old woman of the same age as the deceased.
Two young women led her forward by the hand. She had not strength enough to bow down to the ground--she merely shed a few tears and kissed the cold hand of her mistress.
À son tour, Hermann s’avança vers le cercueil.
Il s’agenouilla un moment sur les dalles jonchées de branches de sapin.
Puis il se leva, et, pâle comme la mort, il monta les degrés du catafalque et s’inclina...
quand tout à coup il lui sembla que la morte le regardait d’un œil moqueur en clignant un œil.
Hermann, d’un brusque mouvement se rejeta en arrière et tomba à la renverse.
on s’empressa de le relever.
Hermann now resolved to approach the coffin.
He knelt down upon the cold stones and remained in that position for some minutes; at last he arose, as pale as the deceased Countess herself; he ascended the steps of the catafalque and bent over the corpse...
At that moment it seemed to him that the dead woman darted a mocking look at him and winked with one eye.
Hermann started back, took a false step and fell to the ground.
Several persons hurried forward and raised him up.
Au même instant, sur le parvis de l’église, Lisabeta Ivanovna tombait sans connaissance.
Cet épisode troubla pendant quelques minutes la pompe de la cérémonie funèbre ;
les assistants chuchotaient, et un chambellan chafouin, proche parent de la défunte, murmura à l’oreille d’un Anglais qui se trouvait près de lui :
« Ce jeune officier est un fils de la comtesse, de la main gauche, s’entend. » À quoi l’Anglais répondit : « Oh ! »
At the same moment Lizaveta Ivanovna was borne fainting into the porch of the church.
This episode disturbed for some minutes the solemnity of the gloomy ceremony.
Among the congregation arose a deep murmur, and a tall thin chamberlain, a near relative of the deceased, whispered in the ear of an Englishman who was standing near him,
that the young officer was a natural son of the Countess, to which the Englishman coldly replied: "Oh!"
Toute la journée, Hermann fut en proie à un malaise extraordinaire.
Dans le restaurant solitaire où il prenait ses repas, il but beaucoup contre son habitude, dans l’espoir de s’étourdir ;
mais le vin ne fit qu’allumer son imagination et donner une activité nouvelle aux idées qui le préoccupaient.
Il rentra chez lui de bonne heure, se jeta tout habillé sur son lit, et s’endormit d’un sommeil de plomb.
During the whole of that day, Hermann was strangely excited.
Repairing to an out-of-the-way restaurant to dine, he drank a great deal of wine, contrary to his usual custom, in the hope of deadening his inward agitation. But the wine only served to excite his imagination still more. on returning home, he threw himself upon his bed without undressing, and fell into a deep sleep.
Lorsqu’il se réveilla, il était nuit, la lune éclairait sa chambre.
Il regarda l’heure ; il était trois heures moins un quart.
Il n’avait plus envie de dormir. Il était assis sur son lit et pensait à la vieille comtesse.
En ce moment, quelqu’un dans la rue s’approcha de la fenêtre comme pour regarder dans sa chambre, et passa aussitôt.
Hermann y fit à peine attention.
Au bout d’une minute, il entendit ouvrir la porte de son antichambre.
When he woke up it was already night, and the moon was shining into the room.
He looked at his watch: it was a quarter to three.
Sleep had left him; he sat down upon his bed and thought of the funeral of the old Countess.
At that moment somebody in the street looked in at his window, and immediately passed on again.
Hermann paid no attention to this incident.
A few moments afterwards he heard the door of his ante-room open.
Il crut que son denschik, ivre selon son habitude, rentrait de quelque excursion nocturne ; mais bientôt il distingua un pas inconnu.
Quelqu’un entrait en traînant doucement des pantoufles sur le parquet.
La porte s’ouvrit, et une femme vêtue de blanc s’avança dans sa chambre.
Hermann s’imagina que c’était sa vieille nourrice, et il se demanda ce qui pouvait l’amener à cette heure de la nuit ;
mais la femme en blanc, traversant la chambre avec rapidité, fut en un moment au pied de son lit, et Hermann reconnut la comtesse !
Hermann thought that it was his orderly, drunk as usual, returning from some nocturnal expedition, but presently he heard footsteps that were unknown to him:
somebody was walking softly over the floor in slippers. The door opened, and a woman dressed in white, entered the room.
Hermann mistook her for his old nurse, and wondered what could bring her there at that hour of the night.
But the white woman glided rapidly across the room and stood before him--and Hermann recognised the Countess!
« Je viens à toi contre ma volonté, dit-elle d’une voix ferme.
Je suis contrainte d’exaucer ta prière.
Trois-sept-as gagneront pour toi l’un après l’autre ;
mais tu ne joueras pas plus d’une carte en vingt-quatre heures, et après, pendant toute ta vie, tu ne joueras plus !
Je te pardonne ma mort, pourvu que tu épouses ma demoiselle de compagnie, Lisabeta Ivanovna. »
À ces mots, elle se dirigea vers la porte et se retira en traînant encore ses pantoufles sur le parquet.
Hermann l’entendit pousser la porte de l’antichambre, et vit un instant après une figure blanche passer dans la rue et s’arrêter devant la fenêtre comme pour le regarder.
"I have come to you against my wish," she said in a firm voice: "but I have been ordered to grant your request.
Three, seven, ace, will win for you if played in succession, but only on these conditions: that you do not play more than one card in twenty-four hours, and that you never play again during the rest of your life.
I forgive you my death, on condition that you marry my companion, Lizaveta Ivanovna."
With these words she turned round very quietly, walked with a shuffling gait towards the door and disappeared.
Hermann heard the street-door open and shut, and again he saw some one look in at him through the window.
Hermann demeura quelque temps tout abasourdi ; il se leva et entra dans l’antichambre.
Son denschik, ivre comme à l’ordinaire, donnait couché sur le parquet.
Il eut beaucoup de peine à le réveiller, et n’en put obtenir la moindre explication.
La porte de l’antichambre était fermée à clé. Hermann rentra dans sa chambre et écrivit aussitôt toutes les circonstances de sa vision.
For a long time Hermann could not recover himself. He then rose up and entered the next room.
His orderly was lying asleep upon the floor, and he had much difficulty in waking him.
The orderly was drunk as usual, and no information could be obtained from him.
The street-door was locked. Hermann returned to his room, lit his candle, and wrote down all the details of his vision.
VI
Deux idées fixes ne peuvent exister à la fois dans le monde moral, de même que dans le monde physique deux corps ne peuvent occuper à la fois la même place.
Trois-sept-as effacèrent bientôt dans l’imagination de Hermann le souvenir des derniers moments de la comtesse.
Trois-sept-as ne lui sortaient plus de la tête et venaient à chaque instant sur ses lèvres.
Rencontrait-il une jeune personne dans la rue :
« Quelle jolie taille ! disait-il ; elle ressemble à un trois de cœur. »
On lui demandait l’heure ; il répondait : « Sept de carreau moins un quart. »
Tout gros homme qu’il voyait lui rappelait un as.
Two fixed ideas can no more exist together in the moral world than two bodies can occupy one and the same place in the physical world.
"Three, seven, ace," soon drove out of Hermann's mind the thought of the dead Countess.
"Three, seven, ace," were perpetually running through his head and continually being repeated by his lips.
If he saw a young girl, he would say: "How slender she is! quite like the three of hearts."
If anybody asked: "What is the time?" he would reply: "Five minutes to seven."
Every stout man that he saw reminded him of the ace.
Trois-sept-as le suivaient en songe, et lui apparaissaient sous maintes formes étranges.
Il voyait des trois s’épanouir comme des magnolia grandiflora.
Des sept s’ouvraient en portes gothiques ; des as se montraient suspendus comme des araignées monstrueuses.
Toutes ses pensées se concentraient vers un seul but : comment mettre à profit ce secret si chèrement acheté ?
Il songeait à demander un congé pour voyager.
À Paris, se disait-il, il découvrirait quelque maison de jeu où il ferait en trois coups sa fortune.
Le hasard le tira bientôt d’embarras.
"Three, seven, ace" haunted him in his sleep, and assumed all possible shapes.
The threes bloomed before him in the forms of magnificent flowers, the sevens were represented by Gothic portals, and the aces became transformed into gigantic spiders.
One thought alone occupied his whole mind--to make a profitable use of the secret which he had purchased so dearly.
He thought of applying for a furlough so as to travel abroad.
He wanted to go to Paris and tempt fortune in some of the public gambling-houses that abounded there.
Chance spared him all this trouble.
Il y avait à Moscou une société de joueurs riches, sous la présidence du célèbre Tchekalinski, qui avait passé toute sa vie à jouer, et qui avait amassé des millions, car il gagnait des billets de banque et ne perdait que de l’argent blanc.
Sa maison magnifique, sa cuisine excellente, ses manières ouvertes, lui avaient fait de nombreux amis et lui attiraient la considération générale.
Il vint à Pétersbourg. Aussitôt la jeunesse accourut dans ses salons, oubliant les bals pour les soirées de jeu et préférant les émotions du tapis vert aux séductions de la coquetterie.
Hermann fut conduit chez Tchekalinski par Naroumof.
There was in Moscow a society of rich gamesters, presided over by the celebrated Chekalinsky, who had passed all his life at the card-table and had amassed millions, accepting bills of exchange for his winnings and paying his losses in ready money.
His long experience secured for him the confidence of his companions, and his open house, his famous cook, and his agreeable and fascinating manners gained for him the respect of the public.
He came to St. Petersburg. The young men of the capital flocked to his rooms, forgetting balls for cards, and preferring the emotions of faro to the seductions of flirting.
Narumov conducted Hermann to Chekalinsky's residence.
Ils traversèrent une longue enfilade de pièces remplies de serviteurs polis et empressés.
Il y avait foule partout. Des généraux et des conseillers privés jouaient au whist.
Des jeunes gens étaient étendus sur les divans, prenant des glaces et fumant de grandes pipes.
Dans le salon principal, devant une longue table autour de laquelle se serraient une vingtaine de joueurs, le maître de la maison tenait une banque de pharaon.
They passed through a suite of magnificent rooms, filled with attentive domestics.
The place was crowded. Generals and Privy Counsellors were playing at whist; young men were lolling carelessly upon the velvet-covered sofas, eating ices and smoking pipes.
In the drawing-room, at the head of a long table, around which were assembled about a score of players, sat the master of the house keeping the bank.
C’était un homme de soixante ans environ, d’une physionomie douce et noble, avec des cheveux blancs comme la neige.
Sur son visage plein et fleuri, on lisait la bonne humeur et la bienveillance. Ses yeux brillaient d’un sourire perpétuel.
Naroumof lui présenta Hermann. Aussitôt Tchekalinski lui tendit la main, lui dit qu’il était le bienvenu, qu’on ne faisait pas de cérémonies dans sa maison, et il se remit à tailler.
He was a man of about sixty years of age, of a very dignified appearance; his head was covered with silvery-white hair; his full, florid countenance expressed good-nature, and his eyes twinkled with a perpetual smile.
Narumov introduced Hermann to him. Chekalinsky shook him by the hand in a friendly manner, requested him not to stand on ceremony, and then went on dealing.
La taille dura longtemps ; on pontait sur plus de trente cartes.
À chaque coup, Tchekalinski s’arrêtait pour laisser aux gagnants le temps de faire des paroli, payait, écoutait civilement les réclamations, et plus civilement encore faisait abattre les cornes qu’une main distraite s’était permise.
The game occupied some time. on the table lay more than thirty cards.
Chekalinsky paused after each throw, in order to give the players time to arrange their cards and note down their losses, listened politely to their requests, and more politely still, put straight the corners of cards that some player's hand had chanced to bend.
Enfin la taille finit ; Tchekalinski mêla les cartes et se prépara à en faire une nouvelle.
« Permettez-vous que je prenne une carte ? » dit Hermann allongeant la main par-dessus un gros homme qui obstruait tout un côté de la table.
Tchekalinski, en lui adressant un gracieux sourire, s’inclina poliment en signe d’acceptation.
Naroumof complimenta en riant Hermann sur la fin de son austérité d’autrefois, et lui souhaita toute sorte de bonheur pour son début dans la carrière du jeu.
At last the game was finished. Chekalinsky shuffled the cards and prepared to deal again.
"Will you allow me to take a card?" said Hermann, stretching out his hand from behind a stout gentleman who was punting.
Chekalinsky smiled and bowed silently, as a sign of acquiescence.
Narumov laughingly congratulated Hermann on his abjuration of that abstention from cards which he had practised for so long a period, and wished him a lucky beginning.
« Va ! dit Hermann après avoir écrit un chiffre sur le dos de sa carte.
– Combien ? demanda le banquier en clignant des yeux. Excusez, je ne vois pas.
– Quarante-sept mille roubles », dit Hermann.
À ces mots, toutes les têtes se levèrent, tous les regards se dirigèrent sur Hermann.
« Il a perdu l’esprit », pensa Naroumof.
"Stake!" said Hermann, writing some figures with chalk on the back of his card.
"How much?" asked the banker, contracting the muscles of his eyes; "excuse me, I cannot see quite clearly."
"Forty-seven thousand rubles," replied Hermann.
At these words every head in the room turned suddenly round, and all eyes were fixed upon Hermann.
"He has taken leave of his senses!" thought Narumov.
« Permettez-moi de vous faire observer, monsieur, dit Tchekalinski avec son éternel sourire,
que votre jeu est un peu fort. Jamais on ne ponte ici que deux cent soixante-quinze mille roubles sur le simple.
– Bon, dit Hermann ; mais faites-vous ma carte, oui ou non ? »
Tchekalinski s’inclina en signe d’assentiment.
"Allow me to inform you," said Chekalinsky, with his eternal smile,
"that you are playing very high; nobody here has ever staked more than two hundred and seventy-five rubles at once."
"Very well," replied Hermann; "but do you accept my card or not?"
Chekalinsky bowed in token of consent.
« Je voulais seulement vous faire observer, dit-il, que bien que je sois parfaitement sûr de mes amis, je ne puis tailler que devant de l’argent comptant.
Je suis parfaitement convaincu que votre parole vaut de l’or ;
cependant, pour l’ordre du jeu et la facilité des calculs, je vous serai obligé de mettre de l’argent sur votre carte. »
Hermann tira de sa poche un billet et le tendit à Tchekalinski, qui, après l’avoir examiné d’un clin d’œil, le posa sur la carte de Hermann.
"I only wish to observe," said he, "that although I have the greatest confidence in my friends, I can only play against ready money.
For my own part, I am quite convinced that your word is sufficient, but for the sake of the order of the game, and to facilitate the reckoning up, I must ask you to put the money on your card."
Hermann drew from his pocket a bank-note and handed it to Chekalinsky, who, after examining it in a cursory manner, placed it on Hermann's card.
Il tailla, à droite vint un dix, à gauche un trois.
« Je gagne », dit Hermann en montrant sa carte.
Un murmure d’étonnement circula parmi les joueurs.
Un moment, les sourcils du banquier se contractèrent, mais aussitôt son sourire habituel reparut sur son visage.
« Faut-il régler ? demanda-t-il au gagnant.
– Si vous avez cette bonté. »
Tchekalinski tira des billets de banque de son portefeuille et paya aussitôt.
Hermann empocha son gain et quitta la table.
Naroumof n’en revenait pas. Hermann but un verre de limonade et rentra chez lui.
He began to deal. on the right a nine turned up, and on the left a three.
"I have won!" said Hermann, showing his card.
A murmur of astonishment arose among the players.
Chekalinsky frowned, but the smile quickly returned to his face.
"Do you wish me to settle with you?" he said to Hermann.
"If you please," replied the latter.
Chekalinsky drew from his pocket a number of banknotes and paid at once.
Hermann took up his money and left the table.
Narumov could not recover from his astonishment. Hermann drank a glass of lemonade and returned home.
Le lendemain au soir, il revint chez Tchekalinski, qui était encore à tailler.
Hermann s’approcha de la table ; cette fois, les pontes s’empressèrent de lui faire une place.
Tchekalinski s’inclina d’un air caressant.
Hermann attendit une nouvelle taille, puis prit une carte sur laquelle il mit ses quarante-sept mille roubles et, en outre, le gain de la veille.
The next evening he again repaired to Chekalinsky's. The host was dealing.
Hermann walked up to the table; the punters immediately made room for him. Chekalinsky greeted him with a gracious bow.
Hermann waited for the next deal, took a card and placed upon it his forty-seven thousand roubles, together with his winnings of the previous evening.
Tchekalinski commença à tailler. Un valet sortit à droite, un sept à gauche.
Hermann montra un sept.
Il y eut un ah ! général. Tchekalinski était évidemment mal à son aise.
Il compta quatrevingt-quatorze mille roubles et les remit à Hermann, qui les prit avec le plus grand sangfroid, se leva et sortit aussitôt.
Chekalinsky began to deal. A knave turned up on the right, a seven on the left.
Hermann showed his seven.
There was a general exclamation. Chekalinsky was evidently ill at ease, but he counted out the ninety-four thousand rubles and handed them over to Hermann, who pocketed them in the coolest manner possible and immediately left the house.
Il reparut le lendemain à l’heure accoutumée. Tout le monde l’attendait ;
les généraux et les conseillers privés avaient laissé leur whist pour assister à un jeu si extraordinaire.
Les jeunes officiers avaient quitté les divans, tous les gens de la maison se pressaient dans la salle.
Tous entouraient Hermann.
À son entrée, les autres joueurs cessèrent de ponter dans leur impatience de le voir aux prises avec le banquier qui, pâle, mais toujours souriant, le regardait s’approcher de la table et se disposer à jouer seul contre lui.
Chacun d’eux défit à la fois un paquet de cartes.
Hermann coupa ; puis il prit une carte et la couvrit d’un monceau de billets de banque.
on eût dit les apprêts d’un duel. Un profond silence régnait dans la salle.
The next evening Hermann appeared again at the table. Every one was expecting him.
The generals and Privy Counsellors left their whist in order to watch such extraordinary play.
The young officers quitted their sofas, and even the servants crowded into the room.
All pressed round Hermann. The other players left off punting, impatient to see how it would end.
Hermann stood at the table and prepared to play alone against the pale, but still smiling Chekalinsky.
Each opened a pack of cards. Chekalinsky shuffled. Hermann took a card and covered it with a pile of bank-notes.
It was like a duel. Deep silence reigned around.
Tchekalinski commença à tailler ; ses mains tremblaient.
À droite, on vit sortir une dame ; à gauche un as.
« L’as gagne, dit Hermann, et il découvrit sa carte.
– Votre dame a perdu », dit Tchekalinski d’un ton de voix mielleux.
Chekalinsky began to deal; his hands trembled.
On the right a queen turned up, and on the left an ace.
"Ace has won!" cried Hermann, showing his card.
"Your queen has lost," said Chekalinsky, politely.
Hermann tressaillit. Au lieu d’un as, il avait devant lui une dame de pique.
Il n’en pouvait croire ses yeux, et ne comprenait pas comment il avait pu se méprendre de la sorte.
Les yeux attachés sur cette carte funeste, il lui sembla que la dame de pique clignait de l’œil et lui souriait d’un air railleur. Il reconnut avec horreur une ressemblance étrange entre cette dame de pique et la défunte comtesse...
« Maudite vieille ! » s’écria-t-il épouvanté.
Hermann started; instead of an ace, there lay before him the queen of spades!
He could not believe his eyes, nor could he understand how he had made such a mistake.
At that moment it seemed to him that the queen of spades smiled ironically and winked her eye at him.
He was struck by her remarkable resemblance...
"The old Countess!" he exclaimed, seized with terror.
Tchekalinski, d’un coup de râteau, ramassa tout son gain.
Hermann demeura longtemps immobile, anéanti.
Quand enfin il quitta la table de jeu, il y eut un moment de causerie bruyante.
Un fameux ponte ! disaient les joueurs.
Tchekalinski mêla les cartes, et le jeu continua.
Chekalinsky gathered up his winnings.
For some time, Hermann remained perfectly motionless.
When at last he left the table, there was a general commotion in the room.
"Splendidly punted!" said the players.
Chekalinsky shuffled the cards afresh, and the game went on as usual.
Conclusion
Hermann est devenu fou. Il est à l’hôpital d’Oboukhof, le n° 17.
Il ne répond à aucune question qu’on lui adresse, mais on l’entend répéter sans cesse : trois-sept-as ! – trois-septdame !
Lisabeta Ivanovna vient d’épouser un jeune homme très aimable, fils de l’intendant de la défunte comtesse.
Il a une bonne place, et c’est un garçon fort rangé.
Lisabeta a pris chez elle une pauvre parente dont elle fait l’éducation.
Tomski a passé chef d’escadron. Il a épousé la princesse Pauline ***.
Hermann went out of his mind, and is now confined in room Number 17 of the Obukhov Hospital.
He never answers any questions, but he constantly mutters with unusual rapidity: "Three, seven, ace!" "Three, seven, queen!"
Lizaveta Ivanovna has married a very amiable young man, a son of the former steward of the old Countess.
He is in the service of the State somewhere, and is in receipt of a good income.
Lizaveta is also supporting a poor relative.
Tomsky has been promoted to the rank of captain, and has become the husband of the Princess Pauline.
* * * * *
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